Par Dan-Lazăr Trifan
Traduction française : Dan Lazar Trifan
Éditeurs de la version française : Anne Cadilhac (France), Gilles Levasseur (Québec)
Publié dans le livre “À l’origine, à la source … Causeries à Subcetate” Dobreanu Doina et Vasile Dobreanu, Editeur : Cezara Codruţa Marica 2014
Titre original en roumain : Despre Dor. Dor, mot roumain traduisible en français par : mal du pays, (dolor + desiderium, saudade, nostalgie, je me languis, délice nostalgique, désir nostalgique de quelque chose qui nous manque. En slovaque, « clivota » ou « cnenie » signifie un désir nostalgique de quelque chose qui nous manque. Il en est de même pour le mot allemand « Sehnsucht ». En amharique, la langue éthiopienne, le mot « tezeta » a la même signification, de même que « assouf » en tamasheq, la langue des Touaregs.)
Doina Dobreanu : M. Dănuţ Trifan, nous sommes très heureux chaque fois que l’on vous revoit à Subcetate. Merci d’accepter cette conversation en ligne. Cela fait de nombreuses années que vous avez quitté les lieux de votre naissance. Votre premier pas a été pour le lycée de Târgu Mureş en 1966… Arrêtons-nous un peu sur l’ambiance qui régnait dans la maison de vos parents, située sur le bord de la rivière Călnaci à Subcetate, durant votre enfance, en totale liberté et avec des rêves sans frontières. Qui étaient ces parents qui vous ont mis au monde avec un certain héritage génétique et une bonne éducation?

Dan Trifan-Lazăr : Avant de répondre, je tiens à te remercier pour l’honneur que tu me fais de me placer aux côtés des grands noms et des personnalités impressionnantes que Subcetate a données au monde, toutes les personnes dont tu as recueilli le témoignage dans tes livres. Il est surprenant et agréable pour moi de voir combien le village de Subcetate a pu donner d’hommes de valeur au fil du temps. Je les admire tous, même si je ne les connais pas tous, je n’ai pas à ce sujet un aperçu aussi vaste que celui qui figure dans ton livre. Je me sens honoré et, en particulier, privilégié de contribuer — modestement, en fait — à une telle réalisation, le livre de Causeries à Subcetate. Aussi je tiens à souligner dès le début que j’ai un peu « triché », parce que mes réponses ont été vues par mes frères et ma sœur, certaines données ont été validées par eux-mêmes pour l’authenticité, ainsi que par ma famille, et de même pour le style et l’impact sur le lecteur, par une personne importante pour moi, neutre, que je ne suis pas autorisé à nommer …
Parler de mes parents, mon père Gheorghe Trifan, George Coaciu (Covaciu – « le forgeron », « kovács » en hongrois), et ma mère, Viorica Trifan née Dobreanu, est quelque chose d’un peu particulier pour moi. Ceci parce que c’est à la fois simple et agréable, mais aussi extrêmement difficile. Pourquoi? C’est simple, parce que j’ai tout un univers de souvenirs. Rien ne pourrait être plus plaisant que de parler de deux personnes merveilleuses. C’est difficile, cependant, parce que pour moi, pour nous, leurs enfants, et pour d’autres probablement, ils sont les créateurs d’un monde entier, ils sont les créateurs de l’univers de notre enfance. Bien sûr, un univers subsumé dans l’univers du village de Subcetate, mais chez nous, chez les « Trifan », il avait quelque chose de spécial, quelque chose de particulier. Quand je dis « les Trifan », je comprends la famille qui est née de l’union d’une Dobreanu avec un Trifan… Cet espace qu’ils ont créé par rien d’autre que ce qu’ils étaient effectivement, ce qu’ils représentaient pour nous, ce qu’ils faisaient pour nous et surtout comment ils le faisaient. Tout était l’univers des Trifan. Un mélange de conformisme et de non-conformisme, de traditions et de négation de la tradition, un mélange de la simple vie paysanne avec la vie des artisans, du fait de la profession de forgeron de mon père et des préoccupations de tisseuse de ma mère, un mélange de rigueur et de liberté, liberté dont d’autres enfants ne disposaient pas, ou qu’ils ne pouvaient pas se permettre.

Mon père, Gheorghe, est né en 1909 à Dămuc, Bicaz, dans une famille de paysans, bergers et radeleurs. Il s’est enfui de la maison à seize ans pour apprendre le métier de forgeron. Il a donc « nié » la tradition familiale pour créer sa « propre » tradition. Il est passé ensuite de l’autre côté du montage, et il a ouvert sa forge à Subcetate.
Il a traversé la Première Guerre mondiale comme enfant réfugié, la deuxième Guerre comme soldat dans l’armée allemande et a été fait prisonnier par les Russes. Le Traité de Trianon (1940) avait annexé près de la moitié de la Transylvanie (y compris Subcetate) à la Hongrie, un allié allemand, et mon père a été enrôlé de force dans l’armée hongroise de Miklós Horthy. (En 1944, après le coup d’État du roi Mihai, la Roumanie passe la Roumanie au côté des Alliés)
Il a servi dans une unité de mécanique derrière la ligne de front, donc il était difficile pour lui de la traverser pour retrouver l’armée roumaine. Lors de la tentative, il a été fait prisonnier par les Russes. Sa chance d’être Roumain et d’avoir une belle-mère exceptionnelle, Ioana Dobreanu, l’a aidé, ainsi que beaucoup d’autres, à éviter le goulag soviétique. De Subcetate, elle s’est rendue à pied à Brasov, où se trouvait le camp de prisonniers en transit, et, profitant d’une lettre envoyée clandestinement du camp, têtue et décidée, elle a réussi à prévenir les autorités roumaines qu’il y avait des Roumains dans le camp de prisonniers. C’est ainsi qu’ils ont réussi à éviter la Sibérie.

Donc mon père évita de justesse le goulag (considéré par les communistes comme un « koulak ») parce qu’il avait et son atelier de forgeron et sa batteuse et son tracteur qu’il préparait chaque automne pour la campagne de récolte. La batteuse, il l’avait construite tout seul pendant l’hiver 1945 tout en souffrant d’un ictère qu’il avait contracté dans le camp de prisonniers. Incapable de se tenir debout, il devait être transporté chaque jour dans une chaise, de la maison à son atelier où il travaillait. Et pour ne pas compromettre l’avenir des enfants avec la stigmatisation de koulak, il a quitté sa famille, vivant seul dans une montagne pendant deux ans. Puis, à la fin des années 1950, il a abandonné son atelier de forgeron pour s’engager comme mécanicien à la scierie de Hodoşa, parmi les travailleurs syndiqués. La stigmatisation est restée, les deux premiers enfants, Ilie et Radu, ont été affectés à l’école par cette fausse catégorisation sociale.
Ma mère, Viorica, née en 1920, était l’aînée de cinq sœurs et un frère. Ses parents étaient Ion Dobreanu, le fourreur du village, et Ioana Rus Dobreanu. Dans leur maison, les villageois se réunissaient en soirées pour que mon grand-père leur lise les journaux et pour faire de la politique. La branche « Dobreanu », dont tu fais partie aussi, provient du fondateur du village de Subcetate, et je sais que toi, Doina Dobreanu, tu as étudié et publié à propos de l’histoire du village.
Eh bien, en parlant de ma mère, ici, je ne peux m’empêcher d’être ému. Il ne peut en être autrement quand je parle d’elle, ma mère que je n’ai jamais vue en colère, jamais irritée, toujours calme. Préoccupée, oui. Mais autrement, avec son sourire discret et énigmatique, elle connaissait et comprenait tout avant même que les choses n’arrivent, traversait les difficultés de la vie comme si de rien n’était.

Une petite femme, mince, capable de déplacer des montagnes ou de « plier » un homme dur, fier et têtu comme mon père. Une telle force dans une femme si fragile, mariée alors qu’elle n’était encore qu’une enfant, à seize ans, et qui a élevé six enfants! Il y avait quelque chose de mystérieux dans son être, quelque chose de surnaturel, de divin, je dirais. Sa puissance ne pouvait venir que de l’amour et de la foi. L’amour pour la famille, pour les enfants, pour sa profession — paysanne, tisseuse, fleuriste — et pour la vie. Et la foi, la foi sans bornes, intrinsèque à son âme, intime, sentie, non dite, vécue dans tout son être, et pas seulement pratiquée. Ce n’est pas la fréquentation de l’église qui définissait la foi de ma mère, ni celle de mon père d’ailleurs. Leur prière du soir était un acte sacré, saint, permanent, intime. La foi de ma mère était son mode de vie, elle était La Vie elle-même. Comme pour mon père aussi. Et ils ont élevé leurs enfants dans la foi, mais ils les ont laissés libres en même temps, ils leur ont permis — et les ont aidés pour cela — de construire leur propre liberté de conscience.
Des personnes empreintes de passion, ils l’étaient tous les deux. Mon père aimait son métier. Il a vécu de son métier et pour son métier. Inventeur reconnu pour ses innovations et ses inventions, avec des brevets enregistrés, il pouvait travailler, en particulier le fer, comme un artiste. Peu importe la chose qu’il avait dans la main, il la maîtrisait, la soumettait, la contrôlait, la dominait. Que cela soit du fer, du bois, un tracteur, une batteuse, une charrue, des circulaires, des clous, des vis, il était forgeron et il aimait les ferrailles. Il les collectionnait, les ramassait partout, simplement là où il les trouvait, ses ferrailles, même sur la route ou dans la boue. Il ne parlait pas trop. Mais il « avait un mot ». Maintenant, ce « un mot » doit être expliqué. Il m’a fallu beaucoup de temps pour comprendre ce qu’il voulait dire par « un homme doit avoir un mot ». Cela, il me l’a dit une fois, mais je n’ai pas trop bien compris. Plus tard, au collège, quand j’entendais, pendant les cours de mathématiques, des démonstrations, des théorèmes, parlant de « nécessaire et suffisant », c’est là qu’à un certain moment j’ai fait le lien. J’ai compris qu’un homme (et pas seulement un homme) doit avoir un mot. Je veux dire avoir une opinion, avoir une prise de position sur toute chose. Mais juste un mot – une opinion, pas deux, pas trois. Un. Qu’il soit cohérent et constant avec lui-même. Une philosophie de vie qui fait de quelqu’un un homme, avec qui on peut travailler et sur qui on peut compter. Le monde dans lequel je vis qualifie une telle personne de « fiable ».

Les passions de ma mère? Le jardinage, la cueillette des fleurs, la couture à la main, le tissage sur son métier à tisser, construit par mon père. Une artiste innée avec une perception extraordinaire des couleurs et des formes, amoureuse de l’art, des motifs décoratifs traditionnels. Des tapis ornaient sa maison, elle cousait des chemises dont nous nous habillions les jours fériés. Elle a laissé à chacun de nous une sorte de dot. J’ai chez moi certaines de ses œuvres réalisées spécialement pour moi. Je les ai montrées dans des expositions, pendant les Journées de la culture roumaine, à Québec, que nous avons organisées dans le passé. Quand les gens exprimaient leur admiration et prenaient des photos, je pensais à ce qu’elle aurait dit et comment elle aurait réagi. « Mais alors, Dănuţ, tous ces gens-là, est-ce qu’ils ont vraiment aimé mes tissus?… Ils ont pris un tas de photos… »
DD : À propos de votre mère, votre frère George m’a dit une fois : « Nous, les six enfants, nous avons commencé à marcher à quatre pattes autour de son métier à tisser, et lorsque nous sommes arrivés à nous tenir debout, son métier à tisser nous servait d’appui. Nous nous sommes formés au contact des personnes, du lieu et des choses qui nous entouraient ; nous ne serons jamais capables de nous détacher de tout ça! »
DLT : Un jour, lorsque quelques enfants — des élèves de l’école du village — sont entrés et ont pris des fleurs dans son jardin, de nuit, elle a pleuré en voyant plusieurs fleurs piétinées. Elle s’est rendue à l’école pour manifester son mécontentement à l’encontre de ces élèves, en disant qu’elle était fâchée, non pas parce qu’ils avaient volé des fleurs, mais parce qu’ils en avaient piétiné quelques-unes. « Il aurait fallu me le demander, je leur aurais alors tout donné moi-même! », a-t-elle dit. Cette attitude définit sa manière de penser, sa façon de regarder la vie: pourquoi mettons-nous toujours le mal en exergue, alors que le bien peut avoir sa place partout?
Finalement, je dois vous parler d’une des grandes passions de mes parents, quelque chose de très important pour nous, les enfants : leur grande soif de connaissances, l’empressement avec lequel ils lisaient, écoutaient les nouvelles, dans les journaux, à la radio, suivaient notre apprentissage. Ils apprenaient avec nous. Nous apprenions d’eux et ils apprenaient ce que nous apprenions.
Je vais m’arrêter ici parce que sinon tu ne vas plus avoir assez de pages dans ton livre pour les autres … Voilà la difficulté dont je t’avais fait part : je ne me lasserai jamais de parler d’eux, de nos parents. Ils sont un monde. Un espace de vie. Un univers. Au-delà du temps et de l’espace. Au-delà de nos vies. Ils sont partis depuis un bout de temps dans un autre monde, dans la non-existence, mais l’espace qu’ils ont créé, le monde qu’ils ont créé sera toujours vivant dans mon cœur. Si jamais un jour j’ai suffisamment de temps pour écrire, je leur consacrerai un livre. À chacun. Et un autre pour tous les deux ensemble.
DD : La façon dont tu as parlé de tes parents est très émouvante!

Ton frère George m’a donné une photo de mariage de vos parents. Je vous confie ici le fond de sa pensée : « Cette image, cette photo, est le reflet de toute une vie. Ma mère avait seize ans. Lui, son mari, en avait vingt-sept. Ma mère a accusé ses parents de ne pas lui avoir laissé le temps de vivre sa jeunesse. Mon père, lui, avait quitté son village et la maison familiale à la suite d’une grosse déception. Mes parents ont vécu ensemble pendant cinquante-deux ans et ils ont eu six enfants. Ils étaient comme deux rocs, très durs, mais avec un lien très fort entre eux, leurs enfants. Ma mère a toujours conservé sa pureté d’âme. Elle n’avait jamais besoin de recourir à des jugements fondés sur l’analyse ou sur l’aspect rationnel des choses. Son comportement et son attitude étaient toujours en harmonie avec ce qu’elle ressentait. Elle était amoureuse des fleurs, des animaux, et surtout des enfants. Tous deux faisaient preuve de respect, de sincérité, de dignité et d’honnêteté. Ils ont prouvé à leurs enfants qu’ils étaient capables de gagner leur vie. Ce sont là des valeurs humaines que l’on pourrait qualifier d’anciennes, mais qu’ils ont acquises à la seule force d’un travail acharné et de beaucoup de patience. On pourrait en dire davantage à ce sujet! »
Que signifie « grandir dans un village roumain traditionnel »? Cela se passe dans les années 1950-1960 à Subcetate. Qu’est-ce que cela représente de vivre dans une belle famille, avec des parents aimants, travaillants, toujours prêts à faire des sacrifices, qui ont su transmettre à leurs enfants, par leur propre exemple, le sens de l’humanité, le respect du travail, l’éthique, la morale, l’amour pour l’apprentissage, et tout ceci avec l’empreinte de la tradition?
DLT : D’un côté, c’est ce qui est vu par les yeux de Dănuţ (né en 1951, à cinq heures du matin, le 1er août) alors qu’il parcourt les années 1950-1960, on y voit un certain monde. De l’autre côté, c’est la perception de quelqu’un qui a traversé des années; aujourd’hui, celui que vous interviewez, c’est Dan Lazăr Trifan, dont la perception n’est plus tout à fait la même, il apporte des nuances par rapport à celle de Dănuţ parce qu’il voit un autre monde. C’est normal, non? Découvrir la vie modifie nos perceptions. Vu de l’intérieur, d’un point de vue existentiel et cognitif, c’est une chose. Vu selon la position d’aujourd’hui, c’en est une autre, du fait de l’accumulation des expériences de vie, des lieux parcourus, des continents, des cultures. On réunit la perception de l’enfance avec le reste, dans un tout, et le ressenti final se modifie en conséquence.
Lorsque, pour la première fois, j’ai pris conscience de cette tendance d’altération de la perception originale de l’espace propre à l’enfance, cela ne m’a pas plu. J’ai senti que par l’ajout, par une nouvelle compréhension rationnelle, on perdait des choses. Des choses importantes. Quelque chose d’essentiel pour la perception de Dănuţ. Lui, l’enfant, il existe toujours, il fait partie de moi, je le retrouve dans mes enfants, dans les enfants d’aujourd’hui tout à l’entour. Et, pour les enfants d’aujourd’hui et de demain, la perception originale est celle qui doit être conservée intacte, inchangée, non altérée. Et surtout transmise. C’est un véritable défi que de garder de tels souvenirs, de tels sentiments. Les sentiments d’un monde perdu, non? « Je ne piétine pas la corolle des merveilles du monde et je n’assassine point, de mes raisonnements, les mystères que je croise sur mon chemin », disait Blaga (Poèmes de la Lumière, 1919). Trop de rationalité, trop « fouiner » pour chercher des causes et des explications ne sont pas bienvenus ici. Il faut seulement se limiter à éprouver à nouveau ces souvenirs et à les revivre par la seule force des émotions authentiques.
Donc, qu’est-ce que cela signifie de grandir dans les années 1950-1960 à Subcetate?
Cela signifie la chance d’être né et d’avoir grandi dans une oasis de stabilité émotionnelle et sociale, avec des valeurs morales, de culture et de foi. Seule cette stabilité peut donner au futur adulte de la confiance en soi et le définir comme une personne équilibrée et forte, avec un fort ancrage dans un certain mode de vie. Même si ce style de vie change plus tard, cette période restera comme une référence solide. La vie au village, le travail avec les parents, la complexité de la vie à la campagne, où les tâches actuelles sont extrêmement diverses, tout ceci donne des compétences, des habitudes que les enfants acquièrent plus facilement que s’ils grandissaient dans une grande ville par exemple. L’enfant qui grandit derrière un bloc d’immeubles, dans le bruit des voitures et la pollution de toutes sortes, assailli par tant d’informations et de changements trop nombreux, trop rapides, cet enfant-là n’arrive pas toujours à percevoir plus profondément l’essence de l’être humain. L’âme n’apprend pas la contemplation et n’acquiert pas la capacité d’introspection, elle ne peut pas, n’a pas le temps d’acquérir de la profondeur dans ses facultés de ressentir et de mettre en œuvre sa conscience. Là, dans la plupart des cas, je ne veux pas en faire une affirmation absolue. Des facteurs tels que les parents, le microclimat social, l’école, la chance, peuvent changer totalement ce que j’affirme dis ici. Mes propos découlent d’une observation personnelle, plutôt statistique si vous préférez.
Pour illustrer simplement la vie à Subcetate, c’était pour Dănuţ la chance de lire, jusqu’à l’épuisement de presque deux bibliothèques, celle de l’école et celle de la ville, sans discrimination et sans présélection. Était-ce une bonne chose? Était-ce une mauvaise chose?
Cela représentait la chance de vivre des projets tantôt sérieux, tantôt plus ludiques, que certains pourraient juger loufoques, des expériences, des petites bêtises ou niaiseries. Ici, de toute évidence, oui, je me dois de vous en raconter quelques-unes!
À partir de ma 5e année à l’école, (ou 6e?), j’étais fasciné par l’aviation. J’étais abonné à la revue « Science et Technique ». J’avais conçu un planeur et, ironiquement, à ma grande surprise, mon père, habituellement très économe, voire radin même, avait accepté de me donner les matériaux nécessaires. J’avais travaillé tout l’automne à construire le planeur, et tout l’hiver dans la maison, dans la chambre en aval du ruisseau (ruisseau qui coule en arrière de notre maison), et qui n’était pas encore complètement finie. Au début du printemps, je l’ai terminé. J’étais étonné que mon père vienne souvent voir comment j’avançais, il vérifiait mes solutions techniques et, je ne savais pas pourquoi, il avait toujours un léger sourire par-dessous sa moustache. J’ai donc terminé la construction du planeur, j’ai assemblé ses ailes, en attendant la fonte des neiges et la possibilité d’en faire l’essai en roulant du sommet de la haute colline au nord de la maison pour atterrir sur le grand terrain libre sur la rive sud du ruisseau. Le jour où j’ai voulu le sortir de la maison, je me suis rendu compte que la longueur des ailes l’empêchait de passer par la porte. Mon père, qui était bien sûr présent, m’a demandé avec son sourire énigmatique, très sérieux : « Alors, Dănuţ, allons-nous démolir le mur pour le faire sortir? »…. Eh oui, bien sûr, après l’avoir bâti, ce planeur, il m’a interdit de voler avec!
Dès mes cinq ou six ans, mon père m’a pris avec lui à bord de la batteuse à céréales, à travers les villages de Răstoliţa jusqu’à Deda ou Dumbrava. J’ai même aujourd’hui encore un sentiment très vif de la vie à la campagne au cours de la récolte d’automne, les vergers odorants, les granges remplies de sacs de grains fraîchement sortis de la batteuse de mon père, avec des gens qui travaillaient du petit matin jusqu’au soir, sans repos, mais avec plaisir et passion. J’aimais tellement ces villages, leurs hommes forts et travailleurs, les belles femmes, et les enfants… les jeunes filles aussi, hum! Au retour d’une de ces campagnes de récolte, j’avais dit à ma mère que lorsque je serais grand, j’aurais sept femmes, une de chaque village où nous étions passés… Cette histoire avait fait le tour de mon village… Plus tard, pendant mon adolescence, il est vrai que j’étais un jour passé dans le village de Dumbrava pour voir si je pouvais traquer l’une des sept, une petite brune aux cheveux longs et brillants, des yeux noirs comme deux petits charbons étincelants et pleins de vie.
Parlons de mes expériences avec des fusées en celluloïd dont une, au lieu de partir vers le haut, est sortie par un petit trou dans la fenêtre de l’atelier et est passée juste à côté de l’oreille de mon père! Ou bien, une autre que j’ai installée sur un petit bateau, sur le ruisseau derrière la maison et qui a explosé! Le policier est venu enquêter sur celui qui détenait des armes à feu (dont la possession était illégale)…
Parlons de la chance que nous avons eue, un collègue et moi, d’étudier pendant deux mois avec un de nos professeurs, de mettre en marche et d’apprendre à connaître tous les appareils des laboratoires de physique et de chimie de l’école secondaire!
J’ai aussi le souvenir de ma chance d’avoir eu un professeur de mathématiques passionné pour ses étudiants, tant et si bien `qu’après les heures d’école, bénévolement, il nous aidait à résoudre les problèmes de la « gazette de mathématiques » pour nous amener au niveau des collaborateurs permanents de la revue, chargés de trouver des solutions.
C’est là toute la chance d’avoir croisé des professeurs merveilleux à l’école du village, avec des enseignants capables d’organiser un long voyage, pour presque tous les élèves, qui nous a permis de parcourir la moitié du pays, et ce dans deux voitures de trains de voyageurs converties en « wagons maisons », avec la cantine et toute la logistique nécessaire au voyage. Nous nous arrêtions dans les gares, on stationnait nos deux wagons sur une ligne secondaire, et nos enseignants nous accompagnaient pour visiter les lieux, des usines, des musées, des écoles, les endroits particuliers dans chaque ville que nous traversions. Lorsque nous avons ainsi « appris notre pays sur le vif », nous étions, si ma mémoire est fidèle, en troisième année.
DD : Je me souviens avec plaisir de ce voyage à travers le pays. J’ai participé moi aussi…

DLT : La vie à Subcetate signifiait aussi vivre avec ma sœur et mes frères. Ilie, l’aîné, l’éternel aventurier, un intellectuel fin et un mécanicien d’exception, avec, dirait-on, une vraie « main en or », mon mentor durant toute une période. Et puis Radu, travaillant dans le transport ferroviaire, un vrai « conquérant des âmes », par la confiance qu’il inspire tout autour de lui. Et Doina, professeur de langue française et d’espagnol, une professionnelle passionnée, attentive, généreuse, très exigeante. Ensuite Ghiţă, un autre passionné, ingénieur en mécanique, ingénieur « par définition », mais idéaliste et bohème dans une certaine mesure. Finalement, Emil, également ingénieur en géologie, « bourré de talents » comme dirait un Français : en musique, peinture, photographie. L’histoire de chacun d’eux tiendrait dans plusieurs volumes…
DD : Comment avez-vous vécu les saisons à Subcetate?
DLT : Hum… Les Saisons… Peut-être que Vivaldi, dans une vie antérieure, était Roumain et aurait vécu son enfance à Subcetate… C’est ma conviction intime, mais ça reste juste entre nous deux, sinon on va faire rire le monde …

Le printemps commence toujours avec l’histoire de « Mărţișor » (Martisor (pro. Mârtzishor), un symbole formé de deux fils, un rouge et un blanc tressés ensemble et se terminant par des pompons ou des petites poupées de laine de même couleur. Ces deux teintes reposent sur une antonymie, représentant soit la santé et la force du sang, le blanc d’une longue vie, soit la chaleur du soleil printanier et la neige qui fond; mais le plus souvent, ils symbolisent l’amour et la pureté. Généralement, on rattache à ce fil un petit symbole, comme un cœur, un trèfle, un fer à cheval), à l’école, à la maison, partout dans le village… Allegro, Largo et Dance pastorale, d’après Vivaldi… La neige qui commence à fondre, le ruisseau derrière la maison dont l’eau gonfle, inondant parfois la cour et le jardin… marcher pieds nus dans l’eau et la boue froide avec, ça et là, des restes de neige encore…
Histoire originale : un matin de printemps, le ruisseau qui coule derrière la maison a inondé la cour et les jardins, et est entré dans notre maison, nous en avions jusqu’aux genoux. Mon grand-père et ma grand-mère, qui vivaient sur la colline, en face de chez nous, ont traversé toute cette eau et sont venus à notre secours. Ma grand-mère, pieds nus, la robe enroulée vers le haut, est entrée dans la maison, a pris le pot sur le poêle, rempli de « cigares à choux farcis » et l’a emporté en vitesse; mon grand-père lui a crié : « Mais les enfants, Ioana! » À quoi elle a répondu sans hésitation : « Les enfants doivent manger, Ioane! »
Au début du mois de mars, je me souviens d’être parti avec les amis et les filles à la cueillette des perce-neige de l’autre côté de la rivière Mureş, où ils apparaissent très tôt au printemps. En avril/mai, quand tout commence à revenir à la vie, lorsque la terre se met à « respirer » en émanant des vapeurs en séchant, des charrues apparaissaient dans la cour de mon père, ainsi que des chevaux pour le remplacement des fers à cheval ainsi que d’autres outils agricoles pour réparation ou affûtage. Les charrues étaient bien alignées le long de la clôture du jardin aussitôt qu’elles étaient prêtes. En mai, quand les pommiers fleurissaient, les dimanches ensoleillés, on sortait jouer à la « tzurca » (jeu turc) sur un grand champ libre à côté de la maison, au bord du ruisseau. Je me revois aussi partant du matin jusqu’au soir sur les collines alentour pour labourer la terre pour les villageois, avec le tracteur et la charrue. Un travail dur, difficile, mais je l’aimais. Le dimanche matin, quand tout était calme, les villageois, dans leurs habits traditionnels de fête, se dirigeaient vers l’église qui se trouvait en face de notre maison, en haut d’une petite colline. Mon père lisait le journal, assis à la table de la cuisine, et ma mère échangeait des histoires avec nous…
En été, encore un peu d’école, et après c’était les vacances, puis de nouveau la rentrée. Vivaldi nous dit Allegro non molto, Adagio e piano, Presto et Forte et Presto.
Les vacances se passaient un peu différemment pour les enfants de la campagne, généralement on y travaillait dans les champs, le jardin, autour de la maison, en aidant les parents. Certains, plus chanceux (nous, les Trifan, nous l’étions!) pouvaient s’offrir un camp d’été, quelque part dans les montagnes ou à la Mer Noire, pendant une ou deux semaines. Quelques années plus tard, l’été signifiait pour moi travailler dans la scierie de Hodoşa, pour amasser des sous pour acheter mes vêtements pour la rentrée des classes. Cela ne me semblait jamais difficile à vivre, ça m’apparaissait normal, un mode de vie accepté par défaut, qui contentait la famille autant que moi-même.
Juillet, avec ses gros coups de chaleur qui pesaient sur les champs (Presto e forte est ce qu’on peut entendre!) et les pluies généralement associées à la fête de St. Ilie (Elias), qui font croître et mûrir les graines… Une parenthèse ici : j’ai appris une histoire sur St. Ilie : il avait demandé à Dieu pour son anniversaire d’envoyer de la pluie, de la foudre et du tonnerre, et Dieu ne cessait de dire : « Eh bien, attends, il y en a encore… », puis : « Eh bien, voilà, ta fête est passée… ». St. Elias, fâché, envoya donc chaque année de la pluie, aussi bien avant qu’après son anniversaire, n’en connaissant plus la date exacte.

Après juillet, voilà août qui arrive, avec un événement particulier qui se produisait chaque année : on partait tous, ou presque tous, en forêt, à Gălăuţaş pour faire les foins, dans un lieu appelé « le jardin des Dobreanu ». Une semaine à vivre à l’état sauvage dans la nature, avec un travail très exigeant, mais il en valait la peine. J’avais un problème avec la faux, qui ne coupait jamais comme il le fallait. Et… quand la faux ne coupe pas, tu tires de tous tes muscles jusqu’à ce qu’ils éclatent! Donc, une année, j’ai eu une grande et large faux qui coupait comme un rasoir. Ce sentiment est indescriptible quand, sur la rosée du petit matin, nous avancions pas à pas, sillon après sillon, en rang, l’un derrière l’autre, frères et père, nous coupions l’herbe sans nous parler, en silence, comme dans un rituel ancestral, appris on ne sait où, ni comment, laissant derrière de longs et lourds sillages d’herbe à la belle odeur fraîche. L’herbe qui se couche au sol, le son de l’aiguisage de la faux, brisé de temps en temps par le solo de la pierre à aiguiser qui passait sur les lames, les sauterelles qui sautaient pour s’enfuir…
Après, on ramenait le foin à la maison dans le grand chariot, plein, lourd, énorme, tiré par un tracteur, sur la route rocailleuse, difficile, pleine de gros trous et d’obstacles. Mais le soir, quand tout était terminé, ça nous faisait du bien de prendre une douche dans l’eau froide du ruisseau derrière la maison, et après le dîner préparé par notre mère, nous arrivions à nous sentir bien, contents de ce que nous avions fait, fini, accompli.
Puis c’était l’automne – Allegro, Adagio molto et de nouveau Allegro, mais avec un message différent – alors que je n’étais pas encore retourné à l’école, ou même tout de suite après le début des cours, c’était le temps du battage des grains auquel je participais. Je me souviens du moment où mon père m’a demandé de l’accompagner dans les villages pour la campagne d’automne, alors que petit à petit, il me confiait des tâches à la mesure de mon âge. J’ai beaucoup de souvenirs à évoquer ici, de belles impressions et même quelques histoires drôles.

Après un certain temps cependant, après la collectivisation survenue dans les années 1950, l’ambiance n’était plus si agréable. La richesse des villageois se transformait en pauvreté, la bonne humeur et la bonté en indifférence et amertume. Alors que nous étions auparavant accueillis chaleureusement, nous en sommes arrivés à dormir aux greniers des écuries, jusqu’à ce que, à un moment donné, mon père finisse par abandonner le battage. Subcetate a échappé à la collectivisation à cause de l’opposition des gens et de sa géographie vallonnée, qui ne permet pas l’agriculture sur de grandes surfaces.
Je me souviens non seulement du travail dans les champs et des récoltes, mais aussi des champs qui se vident et du moment où on nous a envoyés au pâturage avec les animaux, nous, les enfants, sans avoir cette fois de restrictions d’où et quand…
Vers le début de l’hiver, il y avait une période où, avec mon père, nous allions couper du bois, avec la scie construite pour lui et les villageois pour préparer le bois de chauffage. On coupait alors tout en longueur de longs et lourds troncs de bois que les gens avaient apportés de la forêt en les faisant glisser sur la neige à l’aide de chevaux, vers la fin de l’hiver précédent. Allegro, Adagio molto et de nouveau Allegro décrivent parfaitement le temps serein des fêtes de décembre, le blanc tranquille de janvier et le gel implacable de février.
Les vacances d’hiver? Ce sont des histoires tirées de contes de fées. Contes de fées vécus sur le vif. Noël, l’arbre magnifiquement orné, les chants et les voix des enfants qui résonnaient si bien dans le ciel d’hiver cristallin, qui brisaient le silence de la nuit ici et là, des gâteaux, les biscuits de notre mère, les cigares au chou farci, la préparation de spécialités de viande, avec les rites ancestraux… C’était les moments de l’année où l’on arrivait à se rassembler tous à la maison, à la grande joie de nos parents, qui tentaient tant bien que mal de la camoufler, mais qui était évidente. Une fête de la joie, de la réunification, du rafraîchissement de l’esprit. Au fil des ans, cependant, les distances entre nous ont augmenté, et il nous arrivait de plus en plus rarement de jouir de la présence de tous dans la maison parentale au moment de Noël ou du Nouvel An.
Il y a eu beaucoup de neige dans les décennies cinquante et soixante. Le décor hivernal immaculé, le silence qui tombe sur le village — les activités n’y sont pas si intenses en hiver — les sorties avec des amis sur les collines et à travers les forêts pour faire du ski, avec toutes sortes d’aventures, y compris fractures ou blessures, ou les sorties avec des patins improvisés (inventions locales, il n’y avait pas les vrais patins d’aujourd’hui), tous ces souvenirs sont inoubliables. L’hiver était une saison de réflexion intérieure, je dirais. Le village, assis comme un chaudron entre des montagnes, permettait des températures plus basses parce qu’il n’y a pas de vent. Mon premier manteau d’hiver, je l’ai acheté lors de ma première année au lycée quand je suis parti pour la ville de Târgu Mureş. Jusque-là, je passais les hivers en gros chandails de laine, chapeau en peau de mouton, gants et bottes d’hiver.
DD : Est-ce que vous avez la nostalgie de la vie dans la maison de vos parents, du temps de votre enfance?
DLT : Nostalgie? Oui, parfois, lorsque le temps permet aux pensées de vagabonder librement, lors de mes longs voyages, il me manque le « chez nous », dont on porte tous en soi des petits morceaux, des bribes, où que nous soyons dans le monde.
La dureté de la vie, l’immuabilité de son chemin, nous confrontent à des réalités différentes et à la vérité que le passé ne se reproduira jamais plus. Tout change, tout est changé aujourd’hui, les lieux, les gens, les habitudes. Il nous reste l’héritage spirituel, celui qui nous aide à nous retrouver nous-mêmes, partout, à tout moment. Si nous pouvons prendre ce « chez-moi » et le garder dans notre âme, nous nous sentirons à l’aise partout dans le monde, où que nous portent nos pas. Nous intégrons ce passé dans le présent, jour après jour, dans nos réalisations quotidiennes. Il nous fait mal, quand les gens que nous chérissons ne sont plus là…
Certes, voir ma mère affairée à son métier à tisser me manque, ou l’observer alors qu’elle descendait la petite côte entre notre maison et l’église, les mains croisées sous sa veste en peau et laine de mouton, qui m’était devenue si familière. Je m’ennuie aussi d’écouter mon père quand, par exemple, il racontait l’histoire de sa désertion de l’armée allemande, ses souvenirs de guerre ou les moments où je travaillais avec lui dans l’atelier de forgeron.
Nostalgie? Oui. Pendant les longs hivers, quand, au Québec, je suis fatigué de pelleter la neige qui s’accumule jusqu’à empêcher la lumière de pénétrer par les fenêtres. La nostalgie m’accompagnait aussi lorsque je me trouvais dans un avion en route vers Kigali, dans les aéroports, comme Nairobi ou les longues attentes à Paris. Oui, cette nostalgie adoucit ma vie et j’en suis heureux de l’avoir.
DD : Votre itinéraire existentiel?
DLT : « Itinéraire »… Intéressante utilisation de ce mot… Dans un itinéraire, quelqu’un se déplace en passant par une succession de points distincts. Oui, je me déplace dans l’espace, mais dans le temps, c’est une autre histoire. J’ai plutôt le sentiment que le temps passe à travers moi et que la marche du temps est continue, pas discrète et pas marquée de points non plus… Le temps me passe dessus, et je tente d’en freiner le cours pour profiter au maximum de chaque seconde, à savourer, à sentir sa couleur, son goût, ses tendances, son effet, à la retenir le plus longtemps possible en moi, de surseoir à sa mort, à sa disparition… Hum! Trop de philosophie, non?
Commençons donc par le début, ce qui, bien sûr, ne peut être qu’à Subcetate. J’en garde beaucoup de souvenirs, mais nous allons débuter par l’institutionnalisation de Dănuţ. Première journée à la maternelle qui s’annonçait bien, mais qui m’a aussitôt désillusionné lorsque je me suis rendu compte que la vie dehors était plus intéressante! L’école ensuite, où le premier jour, quand je suis arrivé en retard dans la classe, je n’ai trouvé de place qu’au fond de la salle, et bien sûr, je suis tombé tout de suite amoureux de la belle Elena. (Ça reste notre secret, OK? Personne ne le sait, pas même Elena!)

J’ai récemment appris que l’été précédant mon entrée à l’école, qui était en construction, (construction réalisée grâce à notre inestimable professeur Andrei Cotfas, qui a dupé les autorités communistes en laissant confondre notre village avec un autre, plus grand, plus connu, avec le même nom, et obtenu l’argent pour construire l’école secondaire), je ramassais des pierres au bord de la route et je les apportais dans mes poches aux travailleurs en leur demandant de se dépêcher de finir la construction parce que je devais commencer ma première année d’école.
L’école! Ses enseignants et ses professeurs au grand cœur et avec tant de qualités! Sans trop de modestie, je dois dire que je me comptais chaque année parmi les meilleurs élèves, sinon le premier… bon… sauf les années où ma note pour la discipline avait fait baisser ma moyenne…
J’ai fait mon lycée à Târgu Mureş, en profitant du rétablissement des lycées professionnels. J’habitais chez les sœurs de ma mère, ensuite avec mon frère aîné, Ilie, et pendant la dernière année, à la nouvelle résidence du lycée. La transition d’une vie dans un village à celle de la grande ville a provoqué des événements, des chocs, qui m’ont marqué profondément… L’adaptation à la vie urbaine a toujours son prix et je l’ai payé pleinement, mais, comme l’affirme le dicton, les expériences qui ne nous tuent pas nous rendent plus forts. J’y ai connu le même contexte du « premier de la classe » qu’à l’école primaire (c’est-à-dire avec les mêmes exceptions), mais j’y ai étudié intensément et avec plaisir toutes les matières, que ce soit des cours techniques, de littérature ou d’histoire. Mes aptitudes m’ont même propulsé aux Olympiades en mathématiques, en physique, en langues ou dans des activités telles que radioamateur, orientation touristique, gymnastique ou judo. Et pour éviter d’alourdir la facture pour mes parents, je faisais du tutorat ou je travaillais avec mon frère Ilie à réparer autos et motos. Ilie mériterait aujourd’hui à lui seul un livre, un vrai roman, mais l’espace me manque ici pour tant d’histoires à raconter!
Et… à la fin du lycée, après des années à m’imaginer dans l’industrie, dans l’aviation ou l’électronique comme ingénieur, j’ai décidé que je devais changer et j’ai opté pour… l’astronomie. Je me suis alors inscrit à l’examen d’admission à la Faculté de mathématiques de Bucarest. Sauf que l’astronomie s’éloignait de moi, et la dernière année, j’ai suivi ce cours un seul semestre! Alors, en attendant, je suis passé par l’informatique, la mécanique théorique et la magnétohydrodynamique, en terminant par une recherche de pointe dans la théorie des ondes de choc dans le plasma. Cependant, le sort des étudiants de ma génération était scellé d’avance. L’un de nos professeurs, M. Ioan Roșca, mathématicien prestigieux, ancien camarade d’école à Subcetate avec ma sœur Doina, nous a dit un jour : « L’informatique vous engloutira tous! » Et ce fut ainsi. Le 1er août 1976, je me trouvais aux portes de l’usine « Electronica », où ma carrière a commencé comme programmeur, puis ingénieur de système, chef d’équipe et finalement chef du département informatique. J’ai oublié de dire que lors de ma dernière année à l’université, j’ai épousé la Bucarestoise Virgilia, alors que nous étions encore collègues. Elle est devenue professeure, une professionnelle passionnée de mathématiques qu’elle enseignait avec amour aux enfants. Virgilia est la mère de nos trois enfants, Mircea, Alexandru et Ileana, qui sont la plus belle réalisation de notre vie.
Une autre anecdote (qui est véridique) me vient à l’esprit : dans mes réflexions sur l’avenir, je voulais éviter certaines choses comme vivre dans une grande ville, devenir chef, vivre dans un immeuble d’habitation, travailler dans l’industrie et… ne pas épouser une Bucarestoise. Eh bien, je n’y suis pour rien, j’ai tout eu! J’ai vécu à Bucarest, je suis le patron tout le temps, nous avons acheté un appartement, j’ai travaillé dans l’industrie pendant 24 ans et je suis tombé amoureux d’une… Bucarestoise. C’est peut-être comme ça que les choses devaient se passer, ce qui est écrit dans ton destin est marqué sur ton front!
J’ai eu le bonheur d’avoir des enfants exceptionnels, travaillants, talentueux, intelligents. Sur le plan professionnel, j’ai eu la chance d’avoir été choisi pour mener de grands projets d’avant-garde à l’échelle nationale.
Le premier ordinateur personnel, par exemple, conçu pour le grand public — l’un des projets — a été mis en production par une équipe au sein de laquelle ma contribution a été déterminante pour obtenir toutes les approbations officielles, en contournant les « filtres » communistes. Nous l’avons ridiculement appelé « automate programmable pour l’instruction » parce que les autorités communistes ne concevaient pas que des citoyens ordinaires puissent avoir une telle chose à la maison : un ordinateur.
Nous avons mené à bien deux grands projets de systèmes d’information, des systèmes pilotes dans l’économie du pays, comme le suivi de la production en temps réel, une nouveauté en Roumanie : un projet d’inspiration allemande et un autre conçu en Roumanie. Les deux ont été mis en place en même temps à l’usine de la compagnie Electronica où je travaillais.
« La Révolution » (entre guillemets, pour bien se comprendre!) de 1989 m’a mis en première ligne parmi ces naïfs qui croyaient pouvoir changer les choses du jour au lendemain. Les événements m’ont propulsé en position de chef de file, celui qui a dû organiser en coulisses des changements à l’usine où nous travaillions. Nous avons réussi ces changements, nous nous y sommes efforcés, mais je me suis rendu compte après un certain temps que nous n’avions fait que couper une petite partie de la tête du monstre! La pyramide sans tête a tout simplement repoussé le niveau coupé et tout le système a été maintenu opérationnel. Nous devrions plutôt l’appeler « pieuvre », mais pas « pyramide ».
Plus tard, l’une des premières sociétés informatiques enregistrées à Bucarest a été « WDS Software House », que nous avons établie, quelques collaborateurs et moi-même. En moins d’une année, nous avons bâti un système informatique hospitalier sur l’un des premiers réseaux d’ordinateurs PC en Roumanie. Il s’en est suivi des années de travail dur et intensif, des voyages d’affaires partout dans le pays, nous avons rencontré des clients à Bucarest, Constanta, Brăila, Tulcea, Galaţi, Bacău, Baia Mare, Turnu Severin, Craiova, et ce par l’entremise d’une deuxième société, puis une troisième. Nous avons développé des applications informatiques pour différents secteurs, depuis des cabinets d’expertise comptable jusqu’à des usines alimentaires ou des entreprises de maintenance aéronautique, ou encore des hôpitaux.
Les enfants grandissaient, la société évoluait, le marché des systèmes d’information était en évolution, la concurrence naissante n’était pas toujours correcte et honnête. Après un certain temps, j’ai renoncé à l’initiative privée et suis passé à une compagnie d’assurances en tant que directeur du département d’informatique. C’est alors que notre fils, Alex, a commencé à nous demander pourquoi ne pas envisager l’émigration. Je n’étais pas d’accord au début, j’ai refusé, mais Alex a continué d’insister. Après une profonde réflexion, nous avons cependant décidé de partir. Pas pour le bien-être des parents, ma femme et moi avions déjà de bonnes carrières, et même nos finances n’étaient pas mauvaises, mais dans le but d’offrir aux enfants une autre qualité de vie. C’est ainsi que le 8 août 2000 nous avons atterri à Montréal avec le statut de résidents permanents.

Après dix ans dans la même entreprise, la compagnie IBM, j’ai décidé de retourner à mon compte et je suis devenu consultant indépendant. J’avais acquis suffisamment d’expérience en Amérique du Nord avec une clientèle très variée, au Canada et en Europe, et aussi après quelques contrats pour des projets financés par la Banque mondiale à destination de différents pays en Afrique. En ce moment, je dispose de ma propre société de conseil en technologies de l’information, plus une petite agence artistique avec laquelle j’établis des contrats pour plusieurs groupes de musiciens.
La famille? Une autre histoire… réunie, dispersée, ré-réunie partiellement, reconstruite dans une autre structure et brisée de nouveau, des problèmes de santé assez graves dans la famille heureusement résolus ou en cours de solution. Et enfin, hum… oui… les enfants sont maintenant grands, indépendants, parfois je me sens bizarre parce que personne n’a plus besoin de moi, mais ça fait partie de la vie, non? Finalement, on trouve toujours quelqu’un qui a besoin qu’on prenne soin de lui, besoin de soutien, d’un petit « coup de pouce » sur son chemin. Je suis une sorte de « life facilitator», comme on dit en anglais. Certains vivent pour eux, d’autres sont destinés à vivre pour les autres, c’est leur manière de se sentir bien.
DD : Vous avez échangé la tranquillité d’un petit village de Transylvanie contre l’agitation de la vie de Bucarest, et après vous vous êtes intégrés dans la culture canadienne. La place de chacun est là où il peut être naturel et convaincant dans tout ce qu’il fait. Les similitudes et les différences, non seulement entre les individus, mais aussi entre les cultures, enrichissent la beauté de la vie. L’homme est en constante recherche, la recherche de Soi-Même, mais aussi des possibilités d’expression. Avez-vous trouvé les possibilités souhaitées de vous exprimer au Canada?
DLT : S’exprimer, on peut s’exprimer n’importe où, bon, presque partout. Ce qui fait la différence, cependant, c’est de pouvoir convaincre le monde de t’écouter, et au moins quelques-uns de te suivre. Sinon, c’est comme parler aux murs ou prêcher dans le désert.
Chaque société, chaque culture a, à la fois, du bon et du moins bon. La Roumanie a été considérée, après 1989, comme un nouvel « Eldorado » pour une catégorie d’hommes d’affaires. L’explosion des marchés économiques dans certains pays africains a créé des opportunités inattendues. La stabilité et la solidité financière de l’Europe (dans ses limites) offre aussi une autre sorte d’opportunité.
Au Canada, le Québec dispose d’un genre différent d’offre sociale : la liberté d’expression, l’ouverture, la tolérance, le multiculturalisme, la stabilité sociale, un très bon niveau de services sociaux et le soutien de l’initiative dans tous les domaines. On note également des choses que l’on rencontre moins souvent dans la culture communiste ou dans ce qu’on appelle l’esprit balkanique (ironique!), comme le droit de chacun à l’erreur, se sentir bien dans sa peau, penser et regarder la vie de façon positive, parler quand on a un problème, ne pas le cacher par orgueil ou autres raisons absconses. C’est aussi une civilisation comportementale, pratiquant la bonté, le bénévolat social, une société où on n’entend pas si souvent le « ça ne se peut pas », où il y a moins de corruption, ou alors elle est moins manifeste, ou du moins on ne la rencontre pas partout, et enfin une ouverture vers le nouveau, vers la connaissance.
Ma fille a manqué une fois la classe. Elle a appelé son professeur, le jour suivant, pour présenter ses excuses, et le professeur lui a dit : « Ça ne fait rien, tu as le droit de manquer »; puis il lui a envoyé par courriel le contenu du cours loupé, de sorte qu’elle a pu récupérer. Cette tolérance, cette ouverture, cette acceptation de l’erreur, de l’imperfection humaine sont, en définitive, la preuve d’un certain niveau de culture et maturité sociale.
On trouve partout des aspects moins positifs, ça n’est pas possible autrement, la perfection est dans le meilleur des cas une tendance, jamais une réalité concrète, dans très peu de cas une réalité humaine. Un slogan politique pratiqué ici, au Québec, a dit à un moment donné « être différent est une qualité ». Au-delà de la saveur politique et de l’utilisation démagogique en général, une entreprise, une institution ou une société qui est en mesure de tirer profit de ces différences possède un gros avantage pour progresser plus vite. Nous vivons aujourd’hui dans ce qu’on appelle le « village global », et intégrer sans assimiler, en créant quelque chose de nouveau en fusionnant dans le creuset social sans rien détruire, est un art de la politique sociale contemporaine dont peu de pays disposent. Cet art, le Canada le possède, la plupart du temps. Le Québec l’a aussi, avec sa spécificité d’île française dans un monde anglophone.
En ce qui concerne le lieu de chacun, il y a un dicton roumain qui dit : « C’est la personne qui bénit la place »[1]. Maintenant, bien sûr, on peut nuancer, certains endroits sont plus faciles à bénir que d’autres…
Sur les différences culturelles et l’intégration sociale et culturelle, la première condition de l’intégration est de se définir soi-même comme appartenance socioculturelle. Une fois de plus, je parle d’intégration, pas d’assimilation. Cette intégration peut être vue de manières très différentes. Beaucoup de gens tendent à renier le passé, à l’oublier. Je considère que renier ses origines, la culture dans laquelle on a grandi et où on s’est formé en tant que personne, est un moyen de cacher une incapacité de s’intégrer tout d’abord dans sa propre culture et ce, quelles que soient les raisons et les justifications, parfois réelles. Jamais dans ma vie je n’ai ressenti aussi fort ce besoin urgent d’affirmer et de définir mon appartenance à l’espace culturel, historique et émotionnel roumain. On vit dans son pays, à l’intérieur de la culture dans laquelle on est né, et on tient le tout pour acquis. On n’y pense même pas, donc on ne réalise pas et on l’apprécie encore moins. On ne sait même pas ce que l’on possède, toutes ces valeurs et cette richesse qui définissent notre propre culture et, finalement, nous-mêmes. Mais quand on est confronté aux différences des autres cultures, des autres valeurs et autres coutumes, lorsqu’on nous demande dix fois par jour « D’où venez-vous? », on ne peut pas tout le temps répondre simplement : « De Roumanie », parce que la Roumanie est plus qu’un simple espace sur une carte. On sent le besoin d’affirmer notre appartenance, de présenter notre propre offre personnelle de culture, afin de l’équilibrer avec l’offre locale, pour prouver que vous apportez quelque chose de précis, de précieux, de nouveau, et qu’on n’est pas venu dans le but d’oublier nos racines et de faire semblant d’être devenu canadien ou québécois en quelques jours, en s’appropriant rapidement le « jargon » local par exemple. On pourrait peut-être le faire. J’ai senti que ce n’était pas ma façon de procéder. Je pouvais offrir beaucoup plus, soutenu par une solide histoire et une culture millénaire. Si on la connaît, si on fait partie de cette culture, il ne faut pas la nier. Je sentais la nécessité de combler le manque d’information, corriger les fausses images sur la Roumanie, réduites dans les esprits de beaucoup de gens aux noms de Nadia, Ceausescu ou Dracula. Un jeune Roumain, collègue de ma fille Ileana à l’école secondaire, a remporté une bourse à la fin de son adolescence pour aller étudier aux États-Unis. Dans les premières semaines dans son nouveau pays, il avoué : « Je sentais un besoin pressant, immédiat de me répondre à moi-même sur des questions comme : qui je suis, d’où je viens, qu’est-ce que je fais ici? » Il avait besoin de s’auto définir par rapport à la nouvelle société. Il a commencé à coller des photos de Roumanie sur ses murs, il a demandé à ses parents et à ses amis en Roumanie des CD de musique, des photos, des objets spécifiques, il a décoré sa chambre avec des images de Roumanie et écouté de la musique roumaine. C’est la phase de prise de conscience de son appartenance à l’espace culturel dans lequel il était né.
Pour mettre en valeur des similitudes et des différences culturelles, des traditions historiques et des coutumes, des modes de vie, des valeurs morales, vous devez d’abord identifier toutes ces valeurs et les accepter. L’intégration est un processus plus long pour ceux qui émigrent à des âges plus avancés, et c’est un processus qui ne parvient pas toujours à bien aboutir. Beaucoup de gens restent suspendus quelque part entre les deux cultures, entre deux espaces existentiels, planant, hésitant, et parfois incapables de trouver leur place, pas plus dans ce qui était leur passé que dans ce qui est leur présent. D’autres, plus chanceux, ont appris à intégrer cette place, « leur place », dans leur âme, à la prendre partout avec eux, où qu’ils se trouvent. Ce sont ceux qui se sentent bien, se sentent comme à la maison où qu’ils soient. Peut-on les nommer « déracinés »? Hum! Je dirais que ce sont ceux qui sont en mesure de prendre leurs racines avec eux, plutôt. Loreena McKennit dit dans la préface de son album « La Visite » quelque chose comme : « La vie, c’est comme être en visite. Et quand vous êtes en visite dans la maison de quelqu’un, vous devez savoir qui vous êtes, où vous vivez, ce que vous faites là et faire attention à quels souvenirs et impressions vous laissez derrière vous. » Se soucier de sa propre personne. Nous sommes, en quelque sorte, en visite dans ce monde toute notre vie, mais cela concerne la situation de ceux qui ont changé de pays, qui ont un besoin d’auto-identification, de conscience de soi, de « self awareness » ou encore « conștiința de sine » (ro), dans laquelle nous savons d’où nous venons, où nous sommes, ce que nous cherchons et ce que nous faisons. Si nous arrivons à en faire un mode de vie, sans tension, sans effort, alors, naturellement, nous nous sentirons « chez nous » partout. On constate toutefois qu’il peut y avoir des gens qui ne se sentent pas bien « en visite » parce qu’ils perçoivent certaines contraintes qui détruisent ou modifient, le plus souvent inconsciemment, la beauté de l’homme. Que puis-je dire? Chacun dans son « élément » : le poisson se sent bien dans l’eau, les oiseaux dans l’air… Que le lecteur ajoute d’autres bi/quadrupèdes! Il va réaliser ce que je veux dire…
Où puis-je me sentir le mieux? Je présume que c’est ce que vous alliez me demander? La réponse est : parmi les gens. Oui, parmi les gens.
DD : Quelle est votre vie en dehors de votre profession et de la famille? Qu’est-ce que vous aimez, qu’est-ce qui vous passionne ?
DLT : Les gens dont je suis passionné, d’abord et avant tout. Je suis fasciné par leur individualité, leur unicité, leur personnalité, leur culture, leur histoire, leurs valeurs individuelles, passionné de savoir comment ils évoluent en réponse aux défis et aux épreuves de la vie. J’ai eu la chance de connaître beaucoup de gens, partout dans le monde, très différents, et celle de « compter » quelques personnes d’exception parmi ceux que nous considérons comme les plus proches, amis d’âme. Il est intéressant d’apprendre en dix minutes l’histoire de la vie d’un chauffeur de taxi, ingénieur horticole dans le passé, ou pendant les heures de voyage dans un avion, l’histoire de la vie d’une jolie fille, utilisée par un gang de trafiquants pour transporter des bijoux de contrebande, ou encore, en une semaine de travail dans une équipe mixte d’experts, la vie de chacun avec son histoire, l’un venant des Îles Canaries, l’autre d’origine arabe établi en Ontario, au Canada, encore un autre, Sénégalais établi à Québec, ou un ex-ministre africain expert en programmes d’éradication de la pauvreté.
Il est passionnant « d’apprendre » à les connaître à travers leur langue. J’ai joué, disons, avec les langues : une année de russe, reprise à l’université parce qu’on trouvait très facilement des livres de spécialité traduits en russe, le français étudié pendant douze ans, un peu d’anglais amélioré plus tard en famille, une année d’étude de l’arabe. J’ai appris le hongrois à l’école secondaire pour impressionner une jolie fille avec de longues lettres d’amour. J’ai un peu pratiqué l’allemand dans les années 1990 lorsque les affaires m’ont porté en Allemagne, et enfin la lecture et l’écriture en grec. La langue définit la personne. La personnalité et les constructions mentales sont basées sur les éléments linguistiques. Ma belle-fille, Ariane, est née dans une famille bilingue. On peut dire qu’elle a deux personnalités différentes : quand elle est dans un milieu français, elle parle français (avec le dialecte du Québec, bien sûr!), et quand elle se trouve dans un milieu anglophone, elle parle anglais.
Pour le plaisir et pour réunir des gens du monde entier, nous nous rencontrions, par exemple, auparavant, une fois par mois, dans une sorte de petite fête dans un espace mis à notre disposition par l’un des meilleurs vignerons roumains, au Québec. Il est propriétaire du plus ancien vignoble du Québec à l’époque, M. Radu Jorj, une de ces personnes exceptionnelles que j’ai eu la chance de rencontrer et d’en devenir l’ami. Autour de la table, on réunissait des gens d’Amérique du Nord, d’Europe, d’Afrique, des résidents du Québec ou des visiteurs de tous les coins du monde. Ces réunions étaient rafraîchissantes et génératrices de belles satisfactions intellectuelles.
Oui, la diversité sociale, celle des origines et des cultures sont intéressantes, enrichissantes, mais cela dépend de la manière de les utiliser et dans quel but. Pour préparer l’une de ses émissions, une rédactrice TV roumaine de Toronto a lancé un jour sur Facebook une discussion portant sur la question suivante : comment et combien pouvons-nous accepter le compromis, la violation de nos propres valeurs afin de nous intégrer dans une société qui ne partage pas au complet, ou pas de tout, nos valeurs personnelles? Comment rendre l’incompatibilité compatible pour arriver à un « modus vivendi » dans cet amalgame de valeurs religieuses, sociales, morales, culturelles? La discussion peut évoluer depuis la position extrême de l’isolement en petites communautés jusqu’à l’abandon de l’intégration, en passant par une nouvelle terminologie, de fait énoncée par certains politiciens de Québec, qui proposent « les accommodements raisonnables ». Humour ou drame?
Entre autres préoccupations, bien sûr que la famille vient en premier, puis la profession, mais j’ai aussi d’autres centres d’intérêts comme la musique, le jardinage, voyager, cultiver des fleurs, prendre des photos, passer le temps en compagnie de gens intéressants et de discussions qui le sont tout autant, porteuses de nouvelles ouvertures intellectuelles.
Je suis préoccupé par l’évolution de ce « monde virtuel », de ce qui se passe sur Internet. Il est fascinant de découvrir comment les gens s’adaptent, se réinventent, avec les relations, la socialisation, la personnalité de chacun, y compris l’amour, la criminalité, la poésie, le mode de vie. Tout se réinvente dans cet espace virtuel sans limites.
J’aime bricoler, ne suis-je pas le fils d’un artisan? Que cela soit pour des réparations autour de la maison, l’électronique, la menuiserie ou des réparations sur la voiture. Et il me reste encore beaucoup à faire.
Je serais heureux d’avoir le temps et le calme nécessaire pour écrire, par exemple. Je suis pressé tout le temps; c’est même probablement le cas dans mon style d’écriture ici. Trop vite, trop condensé. Le texte ne « respire pas assez profondément », Doina hein? Peut-être à la retraite? Hum! Je ne me vois pas encore dans ce cas de figure!
DD : Le baume pour les blessures de l’âme, c’est la musique. Est-ce que la musique est un moyen de se rapprocher de Dieu? Votre fils, Mircea, est passionné de musique. Vous avez développé ensemble le projet « Vagues de soie » générant beaucoup de joie. Parlez-nous de ce projet.
DLT : « Valuri de Mătase » en roumain (Silky Waves en anglais) est le groupe de musique formé en 2004 à Québec par la flûtiste Terry Ellen Christophersen et le guitariste Mircea Trifan.
Oui, c’est un chapitre spécial et unique dans mes occupations disons artistiques. Je me souviens de la présence sur scène des élèves, à Topliţa, dans un spectacle des années soixante. Au moment où ils sont entrés sur scène, nous avions un duo d’accordéon Dănuţ Trifan et Doinița Dobreanu… Vous souvenez-vous?
À l’université, j’avais des penchants pour les études interdisciplinaires en mathématiques et en musique. Je suivais des cours d’harmonie et de contrepoint au Conservatoire de musique, et certains cours à une école populaire de musique.


Mis à part écouter, consommer la musique dans le mode le plus banal, je n’avais pas d’affinités particulières pour cette dernière. L’histoire a commencé au Québec, où celle qui est devenue, pour un temps, ma partenaire de vie est musicienne professionnelle, flûtiste, passionnée et ouverte aux expérimentations. Avec elle et avec Mircea, mon fils, lui-même musicien, en 2004, nous avons lancé le projet « Vagues de Soie ». L’idée de base, le concept artistique, est de trouver au fil du temps les interactions entre la musique traditionnelle roumaine et la musique celtique. Les deux cultures se sont croisées dans le temps. Les Celtes qui, jusqu’à environ 400 av. J.-C, étaient en Europe (voir les références à la culture de Hallstatt, Autriche), ont traversé plusieurs fois l’espace de l’ancienne Dacia (nom donné dans l’antiquité au territoire situé entre les Carpates, le Danube et la Mer Noire, habité par les Daces, actuel territoire de la Roumanie). Ils ont été mis en fuite par le roi Burébista, d’après l’histoire, puis, après 400 av. J.-C, ils ont commencé leur migration vers l’Angleterre actuelle, abandonnant le continent. Leur culture n’a pas laissé de vestiges écrits, mais des traces, des influences, des éléments culturels celtiques sont restés dans les cultures qu’ils ont croisées. Il y a des éléments communs, par exemple, entre la musique roumaine ancienne et celtique, et les deux musiciens du groupe « Vagues de Soie » ont présenté ces éléments communs à travers leur style, la sélection des pièces, les arrangements et le mode d’interprétation. Le groupe a produit deux albums, « Vagues de Soie » et « La journée d’un an », qui sont enregistrés dans le patrimoine culturel canadien.
J’ai été impliqué, sur une période de temps, dans la vie de la communauté roumaine au Québec, j’étais directeur artistique et organisateur de spectacles. Travailler avec des artistes, ces personnalités exceptionnelles et « tortueuses », « damnées » même, est parfois difficile, mais c’est aussi un privilège. Collaborer avec des dizaines d’artistes roumains de Québec ou d’ailleurs, sur la même scène, avec des artistes locaux du Québec, a été un vrai enrichissement de l’âme. Les artistes se sont découverts les uns les autres, en étant ravis de voir qu’au-delà des différences, la musique peut être un langage universel.
Si quelqu’un visite les sites tels que www.valuridematase.com et www.tridamusic.com et d’autres sites Web connexes, il comprendra ce que je veux dire. Depuis 2004, nous avons visité le Québec en proposant des spectacles en plein air, dans des cathédrales, des amphithéâtres, lors de fêtes ou dans des concerts publics, dans des musées ou aux stations de radio, dans des festivals ou des concerts commerciaux promotionnels. Avec des groupes de musiciens et leurs invités, nous avons trouvé la satisfaction au prix d’un énorme effort, mais on l’avait bien mérité!
Aujourd’hui, ma petite agence représente plusieurs groupes de musiciens, y compris le groupe actuel de Mircea, « Melão international », avec de la musique latine. J’ai pris des cours intensifs de salsa durant l’été 2013 pour profiter de leur musique, cette fois comme spectateur et pas seulement en tant qu’agent et caméraman.
Si la musique nous rapproche de la divinité? Notre vie, notre espace existentiel, donnent à chacun, si nous sommes capables de les discerner, et de les saisir, toute la palette des possibilités en termes d’expériences spirituelles ou tout ce qui peut exister en tant que choix individuel, comme option, comme mode d’action, croyance, sentiments. La vie nous offre du pragmatique diurne, avec tout son lot de problèmes quotidiens, matériels, fastidieux mais nécessaires pour compenser les manques, jusqu’au moment où nous nous dirigeons vers des zones d’expériences plus spirituelles, des domaines plutôt émotionnels. C’est à nous de réaliser que nous avons toutes ces possibilités, et de marcher dans une direction ou une autre. L’important est de ne pas nous laisser marquer, définir, limiter par ce qui nous arrive chaque jour, par les contraintes quotidiennes. La musique peut être un moyen de transport à travers l’espace spirituel, si elle est perçue et utilisée en tant que tel, et pas seulement « consommée ». Tout comme la méditation et la prière, comme l’art en général. Les sonorités cristallines d’une flûte et les cordes d’une guitare, les inflexions vocales d’une chorale liturgique dans une cathédrale, autant qu’un chant de Noël ancestral chanté « a capella » dans l’écho d’un autel, peuvent ouvrir des espaces spirituels insoupçonnés dans l’âme de n’importe qui. Nous avons eu la chance d’avoir pendant un certain temps, en tant que chef de chorale de l’église de Québec, une personne à part, un grand talent qui a produit, avec des amateurs comme moi et les autres membres, un concert de chorale religieuse qui a impressionné le public jusqu’aux larmes dans une cathédrale à Québec. Je réécoute occasionnellement ces concerts… Oui, je peux dire que la musique peut nous porter, elle peut nous découvrir, révéler, dévoiler des sentiments et des expériences dont nous ne nous serions jamais cru capables…
À l’heure où je traduis et publie les versions française et anglaise de ce texte, je dirais que la réponse à cette question pourrait être donnée par Alex, mon fils cadet. Musicien, instructeur et pratiquant de kundalini yoga, il a intégré le yoga et la musique dans un tout, où la divinité, la beauté, l’humanité et l’homme lui-même deviennent un tout, célébrant l’harmonie, l’unicité et l’éternité de la vie. Ma fille Ileana peut aussi répondre à cette question, car ses expériences spirituelles ont traversé, dans une période, des espaces ou les frontières entre l’imaginaire et le réel, le divin et le diabolique, le matériel et le spirituel, qui ont été dilués au point de permettre une coexistence impossible, dans un monde où la musique peut devenir bivalente dans l’antonymie (ou l’identité?) sacré-satanique. Alex dit : « Il n’existe pas la haine et l’amour, il n’y a que l’amour. »
La musique nous rapproche-t-elle de Dieu? Ou, je me demande si, étonnamment, à notre grande surprise, on ne le trouve pas juste à côté de nous, ou en nous-mêmes, dans notre âme, où il était, où il est en fait, tout le temps.
DD : Les voyages nourrissent notre âme et vous avez la chance de voyager. Quel est l’endroit le plus merveilleux que vous ayez vu et qu’est-ce que vous voulez voir encore?
DLT : Chaque endroit est spécifique. Tout dans ce monde mérite d’être vu et connu. Chaque lieu apporte un enrichissement spirituel et culturel par les gens qui y vivent et par leurs réalisations. Bucarest, Cluj, Constanţa, Timişoara, Iaşi, ou le tout petit village en Roumanie, je les considère tous avec le même intérêt que les grandes villes du monde : Paris, Londres, Francfort, Berlin, Budapest, Prague, Vienne, Lausanne, La Havane, Toronto, Boston, Montréal, Ouagadougou, Kigali Nairobi, ou tout village perdu « dans la brousse » dans l’espace africain, ou les villes chics de Bretagne, ou la chaîne de villages et châteaux au sommet des montagnes, en descendant sur la vallée du Rhin. J’aime voyager. En compagnie de gens formidables, surtout. Ce que vous ne pouvez pas partager avec quelqu’un est sans valeur.

Il me reste quelques photos dans ma mémoire, plus fortes que d’autres dans leur signification. J’ai une photo de Ouagadougou, de la fenêtre de l’hôtel, où vous pouvez voir à la fois, à l’intérieur, la cour luxueuse, moderne, propre, et au-delà du mur en ciment, une terre rouge couverte de saletés et débris éparpillés un peu partout, avec quelques sans-abri assis sous un arbre.
J’ai encore beaucoup d’endroits à visiter sur ma liste : l’Amérique du Sud, l’Asie, l’Océanie, la Russie. J’ai encore beaucoup à voir en Roumanie et en Europe.
DD : Quels rêves d’enfance avez-vous réalisés?
DLT : Oh, rêves d’enfant! Il y en avait tant que cela demandera plusieurs vies pour y penser, sans parler de les réussir tous! Mes réalisations? Nous avons mis au monde trois enfants, j’apporte encore ma contribution à la réussite dans la vie de plusieurs personnes, comme je disais, on peut me qualifier de « life facilitator » pour plusieurs personnes. J’ai voyagé, je suis devenu un professionnel de réputation internationale, les uns le disent, mais je n’ai pas encore volé avec le planeur construit à la maison, je ne suis pas aviateur, ni constructeur d’avions, Mircea est cependant un ingénieur aérospatial! Je ne suis pas capable de m’exprimer très librement à travers la musique (je connais un peu le piano et la guitare), mais les enfants — Mircea, Alex, Ileana, Ariane — le font pleinement. Je n’ai pas appris à dessiner ou peindre, mais Ileana le fait, je n’ai pas encore découvert l’antigravitation, et je n’ai pas encore écrit de livres…
Mais ma plus grande non-réalisation, qui est sans rapport avec les rêves d’enfance, est de ne pas avoir été plus proche de mes parents quand ils étaient en vie, de mes frères et de ma sœur, de mon pays… C’est une de mes grandes douleurs que j’emporte avec moi.
Je ne pense pas avoir accompli des choses exceptionnelles. Je suis étonné même maintenant que vous m’ayez sélectionné pour votre livre parmi des noms prestigieux, parmi des personnes de grand talent avec des contributions majeures dans les domaines littéraire, social, culturel, scientifique, artistique…
DD : Vous voulez paraître modeste, mais vous êtes un grand homme et nous vous remercions d’accepter de nous parler, avec une telle sincérité, chaleur et joie, de votre personnalité si fascinante. Je vous remercie à cette occasion de nous enrichir en prenant connaissance de vos sentiments et des profondeurs de vos pensées.
DLT : Je considère mes réalisations comme normales y compris les erreurs, qui sont aussi « normales ». Sans erreurs, j’aurais pu probablement faire plus, mais je n’aurais pas appris tellement de choses. J’ai simplement marché en suivant le chemin que la vie a déroulé devant moi, et fait en sorte, aux intersections ou bifurcations, d’éviter de prendre une mauvaise direction, dans un sens qui ne me convenait pas, ou qui pouvait affecter les autres de manière négative.
DD : Tout ce que vous avez fait jusqu’à présent est dû à un credo particulier?
Un credo… je ne sais pas quoi dire… C’est trop dire, credo. Un credo nécessite un peu de fanatisme, un peu d’aveuglement involontaire, un peu de limitation existentielle. Je crois que je suis plutôt un expérimentateur, quelqu’un qui aime jouer avec les frontières, avec des idées, avec les limites de lui-même. Les obstacles et les barrières représentent un défi pour des gens comme moi.
Mais ce que j’essaie de suivre dans la vie, ce que j’ai essayé tout le temps et qui pourrait être considéré comme une « croyance », un credo, c’est, dans un sens, ce que mon père, « homme de Transylvanie » par définition, m’a dit un jour : « Quoi que tu fasses dans la vie, fais-le bien! »…
Mais vous ne me parlez pas de mes futurs plans, comment ça?
DD : Je le fais avec amour. Avec beaucoup d’amour. Je vous demande donc d’en parler, s’il vous plaît. On vous écoute!
DTL : Ok, si vous me le demandez avec tant d’insistance, je réponds.
Premièrement, je voudrais avoir des petits-enfants. Ce n’est pas à moi de le faire, dites-vous? Ouais, bien… Je voudrais avoir des enfants autour de moi. Ils remplissent la maison, l’âme et la vie. Si mes enfants ne me les offrent pas, alors… je devrais me débrouiller tout seul?
J’ai encore plusieurs continents à voir. Beaucoup de gens à connaître. Il y a aussi quelques personnes autour de moi qui ont encore besoin de moi pour voler de leurs propres ailes. Après ça… qui sait?
Je planifie de revenir chez moi plus souvent. Le « chez-moi » de Subcetate.
Je pense commencer à écrire. Pas mes mémoires, car je dis et redis que je suis encore trop jeune. Prose et poésie de l’amour plutôt. L’amour a parfois des épines, là je cite Mitică Hurubă.
Je planifie de continuer les cours de danse latino.
Sur un plan un peu plus pratique, j’ai aménagé un grand jardin, récemment, pour planter des légumes, des fleurs, des cassissiers à partir desquels, aidé par Mircea, j’ai fait du vin d’après la recette de mon père, un peu modifiée. Ma recette tourne plutôt vers un vin de glace ou porto.
Professionnellement, je voudrais reprendre l’étude. Ici au Québec, on peut être étudiant à tout âge. Je pense à certains thèmes de recherche intéressants que j’aimerais reprendre : l’antigravité, la composition musicale algorithmique, et les ondes de choc dans le plasma.
Et je prévois continuer à me poser des questions sans réponse, le genre de nativités comme : qu’est-ce que je cherche dans ce monde, pourquoi la rose a des épines, pourquoi l’amour fait mal, si jamais quelqu’un, il y a des millénaires, a utilisé la Grande Ourse dans le ciel pour transporter le foin, pourquoi l’absence de quelqu’un peut sembler douce, comment est-il possible d’aimer la terre, pourquoi je ne peux jamais haïr personne, pourquoi la fourberie et la malhonnêteté me blessent si profondément, et quel a été le secret de ma mère pour arriver à être toujours en paix avec elle-même et avec l’univers tout entier, même lorsqu’elle devait souffrir.
DD : Que Dieu vous donne la santé et le temps de profiter de vos réalisations! Et gardez toujours votre esprit éclatant pour profiter du spectacle de l’existence, avec tant de domaines inconnus!
J’attends avec impatience la lecture de votre premier livre! Et puis on se revoit à Subcetate plus souvent!
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Publié par Doinita-Ana Dobreanu dans « La vie à Subcetate », Revue du Conseil de Ville et de la Mairie, éditée sous la supervision des enseignants du Lycée “Miron Cristea”. ISSN 2343 – 8215; L ISSN 2343 – 8215, janvier 2015
Dan Lazăr Trifan est mathématicien, consultant international sénior en systèmes d’information, Né à Subcetate, Roumanie; domicile actuel : Ville de Québec, Canada