Par Dan-Lazăr Trifan
Traduction française : Dan Lazar Trifan
Éditeurs de la version française : Anne Cadilhac (France), Gilles Levasseur (Québec)
Publié dans le livre “À l’origine, à la source … Causeries à Subcetate” Dobreanu Doina et Vasile Dobreanu,
Editeur : Cezara Codruţa Marica 2014
Titre original en roumain : Despre Dor. Dor, mot roumain traduisible en français par : mal du pays, (dolor + desiderium, saudade, nostalgie, je me languis, délice nostalgique, désir nostalgique de quelque chose qui nous manque. En slovaque, « clivota » ou « cnenie » signifie un désir nostalgique de quelque chose qui nous manque. Il en est de même pour le mot allemand « Sehnsucht ». En amharique, la langue éthiopienne, le mot « tezeta » a la même signification, de même que « assouf » en tamasheq, la langue des Touaregs.)
DD : Vous avez échangé la tranquillité d’un petit village de Transylvanie contre l’agitation de la vie de Bucarest, et après vous vous êtes intégrés dans la culture canadienne. La place de chacun est là où il peut être naturel et convaincant dans tout ce qu’il fait. Les similitudes et les différences, non seulement entre les individus, mais aussi entre les cultures, enrichissent la beauté de la vie. L’homme est en constante recherche, la recherche de Soi-Même, mais aussi des possibilités d’expression. Avez-vous trouvé les possibilités souhaitées de vous exprimer au Canada?
DLT : S’exprimer, on peut s’exprimer n’importe où, bon, presque partout. Ce qui fait la différence, cependant, c’est de pouvoir convaincre le monde de t’écouter, et au moins quelques-uns de te suivre. Sinon, c’est comme parler aux murs ou prêcher dans le désert.
Chaque société, chaque culture a, à la fois, du bon et du moins bon. La Roumanie a été considérée, après 1989, comme un nouvel « Eldorado » pour une catégorie d’hommes d’affaires. L’explosion des marchés économiques dans certains pays africains a créé des opportunités inattendues. La stabilité et la solidité financière de l’Europe (dans ses limites) offre aussi une autre sorte d’opportunité.
Au Canada, le Québec dispose d’un genre différent d’offre sociale : la liberté d’expression, l’ouverture, la tolérance, le multiculturalisme, la stabilité sociale, un très bon niveau de services sociaux et le soutien de l’initiative dans tous les domaines. On note également des choses que l’on rencontre moins souvent dans la culturecommuniste ou dans ce qu’on appelle l’esprit balkanique (ironique!), comme le droit de chacun à l’erreur, se sentir bien dans sa peau, penser et regarder la vie de façon positive, parler quand on a un problème, ne pas le cacher par orgueil ou autres raisons absconses. C’est aussi une civilisation comportementale, pratiquant la bonté, le bénévolat social, une société où on n’entend pas si souvent le « ça ne se peut pas », où il y a moins de corruption, ou alors elle est moins manifeste, ou du moins on ne la rencontre pas partout, et enfin une ouverture vers le nouveau, vers la connaissance.
Ma fille a manqué une fois la classe. Elle a appelé son professeur, le jour suivant, pour présenter ses excuses, et le professeur lui a dit : « Ça ne fait rien, tu as le droit de manquer »; puis il lui a envoyé par courriel le contenu du cours loupé, de sorte qu’elle a pu récupérer. Cette tolérance, cette ouverture, cette acceptation de l’erreur, de l’imperfection humaine sont, en définitive, la preuve d’un certain niveau de culture et maturité sociale.
On trouve partout des aspects moins positifs, ça n’est pas possible autrement, la perfection est dans le meilleur des cas une tendance, jamais une réalité concrète, dans très peu de cas une réalité humaine. Un slogan politique pratiqué ici, au Québec, a dit à un moment donné « être différent est une qualité ». Au-delà de la saveur politique et de l’utilisation démagogique en général, une entreprise, une institution ou une société qui est en mesure de tirer profit de ces différences possède un gros avantage pour progresser plus vite. Nous vivons aujourd’hui dans ce qu’on appelle le « village global », et intégrer sans assimiler, en créant quelque chose de nouveau en fusionnant dans le creuset social sans rien détruire, est un art de la politique sociale contemporaine dont peu de pays disposent. Cet art, le Canada le possède, la plupart du temps. Le Québec l’a aussi, avec sa spécificité d’île française dans un monde anglophone.
En ce qui concerne le lieu de chacun, il y a un dicton roumain qui dit : « C’est la personne qui bénit la place »[1]. Maintenant, bien sûr, on peut nuancer, certains endroits sont plus faciles à bénir que d’autres…
Sur les différences culturelles et l’intégration sociale et culturelle, la première condition de l’intégration est de se définir soi-même comme appartenance socioculturelle. Une fois de plus, je parle d’intégration, pas d’assimilation. Cette intégration peut être vue de manières très différentes. Beaucoup de gens tendent à renier le passé, à l’oublier. Je considère que renier ses origines, la culture dans laquelle on a grandi et où on s’est formé en tant que personne, est un moyen de cacher une incapacité de s’intégrer tout d’abord dans sa propre culture et ce, quelles que soient les raisons et les justifications, parfois réelles. Jamais dans ma vie je n’ai ressenti aussi fort ce besoin urgent d’affirmer et de définir mon appartenance à l’espace culturel, historique et émotionnel roumain. On vit dans son pays, à l’intérieur de la culture dans laquelle on est né, et on tient le tout pour acquis. On n’y pense même pas, donc on ne réalise pas et on l’apprécie encore moins. On ne sait même pas ce que l’on possède, toutes ces valeurs et cette richesse qui définissent notre propre culture et, finalement, nous-mêmes. Mais quand on est confronté aux différences des autres cultures, des autres valeurs et autres coutumes, lorsqu’on nous demande dix fois par jour « D’où venez-vous? », on ne peut pas tout le temps répondre simplement : « De Roumanie », parce que la Roumanie est plus qu’un simple espace sur une carte. On sent le besoin d’affirmer notre appartenance, de présenter notre propre offre personnelle de culture, afin de l’équilibrer avec l’offre locale, pour prouver que vous apportez quelque chose de précis, de précieux, de nouveau, et qu’on n’est pas venu dans le but d’oublier nos racines et de faire semblant d’être devenu canadien ou québécois en quelques jours, en s’appropriant rapidement le « jargon » local par exemple. On pourrait peut-être le faire. J’ai senti que ce n’était pas ma façon de procéder. Je pouvais offrir beaucoup plus, soutenu par une solide histoire et une culture millénaire. Si on la connaît, si on fait partie de cette culture, il ne faut pas la nier. Je sentais la nécessité de combler le manque d’information, corriger les fausses images sur la Roumanie, réduites dans les esprits de beaucoup de gens aux noms de Nadia, Ceausescu ou Dracula. Un jeune Roumain, collègue de ma fille Ileana à l’école secondaire, a remporté une bourse à la fin de son adolescence pour aller étudier aux États-Unis. Dans les premières semaines dans son nouveau pays, il avoué : « Je sentais un besoin pressant, immédiat de me répondre à moi-même sur des questions comme : qui je suis, d’où je viens, qu’est-ce que je fais ici? » Il avait besoin de s’auto définir par rapport à la nouvelle société. Il a commencé à coller des photos de Roumanie sur ses murs, il a demandé à ses parents et à ses amis en Roumanie des CD de musique, des photos, des objets spécifiques, il a décoré sa chambre avec des images de Roumanie et écouté de la musique roumaine. C’est la phase de prise de conscience de son appartenance à l’espace culturel dans lequel il était né.
Pour mettre en valeur des similitudes et des différences culturelles, des traditions historiques et des coutumes, des modes de vie, des valeurs morales, vous devez d’abord identifier toutes ces valeurs et les accepter. L’intégration est un processus plus long pour ceux qui émigrent à des âges plus avancés, et c’est un processus qui ne parvient pas toujours à bien aboutir. Beaucoup de gens restent suspendus quelque part entre les deux cultures, entre deux espaces existentiels, planant, hésitant, et parfois incapables de trouver leur place, pas plus dans ce qui était leur passé que dans ce qui est leur présent. D’autres, plus chanceux, ont appris à intégrer cette place, « leur place », dans leur âme, à la prendre partout avec eux, où qu’ils se trouvent. Ce sont ceux qui se sentent bien, se sentent comme à la maison où qu’ils soient. Peut-on les nommer « déracinés »? Hum! Je dirais que ce sont ceux qui sont en mesure de prendre leurs racines avec eux, plutôt. Loreena McKennit dit dans la préface de son album « La Visite » quelque chose comme : « La vie, c’est comme être en visite. Et quand vous êtes en visite dans la maison de quelqu’un, vous devez savoir qui vous êtes, où vous vivez, ce que vous faites là et faire attention à quels souvenirs et impressions vous laissez derrière vous. » Se soucier de sa propre personne. Nous sommes, en quelque sorte, en visite dans ce monde toute notre vie, mais cela concerne la situation de ceux qui ont changé de pays, qui ont un besoin d’auto-identification, de conscience de soi, de « self awareness » ou encore « conștiința de sine » (ro), dans laquelle nous savons d’où nous venons, où nous sommes, ce que nous cherchons et ce que nous faisons. Si nous arrivons à en faire un mode de vie, sans tension, sans effort, alors, naturellement, nous nous sentirons « chez nous » partout. On constate toutefois qu’il peut y avoir des gens qui ne se sentent pas bien « en visite » parce qu’ils perçoivent certaines contraintes qui détruisent ou modifient, le plus souvent inconsciemment, la beauté de l’homme. Que puis-je dire? Chacun dans son « élément » : le poisson se sent bien dans l’eau, les oiseaux dans l’air… Que le lecteur ajoute d’autres bi/quadrupèdes! Il va réaliser ce que je veux dire…
Où puis-je me sentir le mieux? Je présume que c’est ce que vous alliez me demander? La réponse est : parmi les gens. Oui, parmi les gens.
DD : Quelle est votre vie en dehors de votre profession et de la famille? Qu’est-ce que vous aimez, qu’est-ce qui vous passionne ?
DLT : Les gens dont je suis passionné, d’abord et avant tout. Je suis fasciné par leur individualité, leur unicité, leur personnalité, leur culture, leur histoire, leurs valeurs individuelles, passionné de savoir comment ils évoluent en réponse aux défis et aux épreuves de la vie. J’ai eu la chance de connaître beaucoup de gens, partout dans le monde, très différents, et celle de « compter » quelques personnes d’exception parmi ceux que nous considérons comme les plus proches, amis d’âme. Il est intéressant d’apprendre en dix minutes l’histoire de la vie d’un chauffeur de taxi, ingénieur horticole dans le passé, ou pendant les heures de voyage dans un avion, l’histoire de la vie d’une jolie fille, utilisée par un gang de trafiquants pour transporter des bijoux de contrebande, ou encore, en une semaine de travail dans une équipe mixte d’experts, la vie de chacun avec son histoire, l’un venant des Îles Canaries, l’autre d’origine arabe établi en Ontario, au Canada, encore un autre, Sénégalais établi à Québec, ou un ex-ministre africain expert en programmes d’éradication de la pauvreté.
Il est passionnant « d’apprendre » à les connaître à travers leur langue. J’ai joué, disons, avec les langues : une année de russe, reprise à l’université parce qu’on trouvait très facilement des livres de spécialité traduits en russe, le français étudié pendant douze ans, un peu d’anglais amélioré plus tard en famille, une année d’étude de l’arabe. J’ai appris le hongrois à l’école secondaire pour impressionner une jolie fille avec de longues lettres d’amour. J’ai un peu pratiqué l’allemand dans les années 1990 lorsque les affaires m’ont porté en Allemagne, et enfin la lecture et l’écriture en grec. La langue définit la personne. La personnalité et les constructions mentales sont basées sur les éléments linguistiques. Ma belle-fille, Ariane, est née dans une famille bilingue. On peut dire qu’elle a deux personnalités différentes : quand elle est dans un milieu français, elle parle français (avec le dialecte du Québec, bien sûr!), et quand elle se trouve dans un milieu anglophone, elle parle anglais.
Pour le plaisir et pour réunir des gens du monde entier, nous nous rencontrions, par exemple, auparavant, une fois par mois, dans une sorte de petite fête dans un espace mis à notre disposition par l’un des meilleurs vignerons roumains, au Québec. Il est propriétaire du plus ancien vignoble du Québec à l’époque, M. Radu Jorj, une de ces personnes exceptionnelles que j’ai eu la chance de rencontrer et d’en devenir l’ami. Autour de la table, on réunissait des gens d’Amérique du Nord, d’Europe, d’Afrique, des résidents du Québec ou des visiteurs de tous les coins du monde. Ces réunions étaient rafraîchissantes et génératrices de belles satisfactions intellectuelles.
Oui, la diversité sociale, celle des origines et des cultures sont intéressantes, enrichissantes, mais cela dépend de la manière de les utiliser et dans quel but. Pour préparer l’une de ses émissions, une rédactrice TV roumaine de Toronto a lancé un jour sur Facebook une discussion portant sur la question suivante : comment et combien pouvons-nous accepter le compromis, la violation de nos propres valeurs afin de nous intégrer dans une société qui ne partage pas au complet, ou pas de tout, nos valeurs personnelles? Comment rendre l’incompatibilité compatible pour arriver à un « modus vivendi » dans cet amalgame de valeurs religieuses, sociales, morales, culturelles? La discussion peut évoluer depuis la position extrême de l’isolement en petites communautés jusqu’à l’abandon de l’intégration, en passant par une nouvelle terminologie, de fait énoncée par certains politiciens de Québec, qui proposent « les accommodements raisonnables ». Humour ou drame?
Entre autres préoccupations, bien sûr que la famille vient en premier, puis la profession, mais j’ai aussi d’autres centres d’intérêts comme la musique, le jardinage, voyager, cultiver des fleurs, prendre des photos, passer le temps en compagnie de gens intéressants et de discussions qui le sont tout autant, porteuses de nouvelles ouvertures intellectuelles.
Je suis préoccupé par l’évolution de ce « monde virtuel », de ce qui se passe sur Internet. Il est fascinant de découvrir comment les gens s’adaptent, se réinventent, avec les relations, la socialisation, la personnalité de chacun, y compris l’amour, la criminalité, la poésie, le mode de vie. Tout se réinvente dans cet espace virtuel sans limites.
J’aime bricoler, ne suis-je pas le fils d’un artisan? Que cela soit pour des réparations autour de la maison, l’électronique, la menuiserie ou des réparations sur la voiture. Et il me reste encore beaucoup à faire.
Je serais heureux d’avoir le temps et le calme nécessaire pour écrire, par exemple. Je suis pressé tout le temps; c’est même probablement le cas dans mon style d’écriture ici. Trop vite, trop condensé. Le texte ne « respire pas assez profondément », Doina hein? Peut-être à la retraite? Hum! Je ne me vois pas encore dans ce cas de figure!
DD : Le baume pour les blessures de l’âme, c’est la musique. Est-ce que la musique est un moyen de se rapprocher de Dieu? Votre fils, Mircea, est passionné de musique. Vous avez développé ensemble le projet « Vagues de soie » générant beaucoup de joie. Parlez-nous de ce projet.
DLT : « Valuri de Mătase » en roumain (Silky Waves en anglais) est le groupe de musique formé en 2004 à Québec par la flûtiste Terry Ellen Christophersen et le guitariste Mircea Trifan.
Oui, c’est un chapitre spécial et unique dans mes occupations disons artistiques. Je me souviens de la présence sur scène des élèves, à Topliţa, dans un spectacle des années soixante. Au moment où ils sont entrés sur scène, nous avions un duo d’accordéon Dănuţ Trifan et Doinița Dobreanu… Vous souvenez-vous?
À l’université, j’avais des penchants pour les études interdisciplinaires en mathématiques et en musique. Je suivais des cours d’harmonie et de contrepoint au Conservatoire de musique, et certains cours à une école populaire de musique.


Mis à part écouter, consommer la musique dans le mode le plus banal, je n’avais pas d’affinités particulières pour cette dernière. L’histoire a commencé au Québec, où celle qui est devenue, pour un temps, ma partenaire de vie est musicienne professionnelle, flûtiste, passionnée et ouverte aux expérimentations. Avec elle et avec Mircea, mon fils, lui-même musicien, en 2004, nous avons lancé le projet « Vagues de Soie ». L’idée de base, le concept artistique, est de trouver au fil du temps les interactions entre la musique traditionnelle roumaine et la musique celtique. Les deux cultures se sont croisées dans le temps. Les Celtes qui, jusqu’à environ 400 av. J.-C, étaient en Europe (voir les références à la culture de Hallstatt, Autriche), ont traversé plusieurs fois l’espace de l’ancienne Dacia (nom donné dans l’antiquité au territoire situé entre les Carpates, le Danube et la Mer Noire, habité par les Daces, actuel territoire de la Roumanie). Ils ont été mis en fuite par le roi Burébista, d’après l’histoire, puis, après 400 av. J.-C, ils ont commencé leur migration vers l’Angleterre actuelle, abandonnant le continent. Leur culture n’a pas laissé de vestiges écrits, mais des traces, des influences, des éléments culturels celtiques sont restés dans les cultures qu’ils ont croisées. Il y a des éléments communs, par exemple, entre la musique roumaine ancienne et celtique, et les deux musiciens du groupe « Vagues de Soie » ont présenté ces éléments communs à travers leur style, la sélection des pièces, les arrangements et le mode d’interprétation. Le groupe a produit deux albums, « Vagues de Soie » et « La journée d’un an », qui sont enregistrés dans le patrimoine culturel canadien.
J’ai été impliqué, sur une période de temps, dans la vie de la communauté roumaine au Québec, j’étais directeur artistique et organisateur de spectacles. Travailler avec des artistes, ces personnalités exceptionnelles et « tortueuses », « damnées » même, est parfois difficile, mais c’est aussi un privilège. Collaborer avec des dizaines d’artistes roumains de Québec ou d’ailleurs, sur la même scène, avec des artistes locaux du Québec, a été un vrai enrichissement de l’âme. Les artistes se sont découverts les uns les autres, en étant ravis de voir qu’au-delà des différences, la musique peut être un langage universel.
Si quelqu’un visite les sites tels que www.valuridematase.com et www.tridamusic.com et d’autres sites Web connexes, il comprendra ce que je veux dire. Depuis 2004, nous avons visité le Québec en proposant des spectacles en plein air, dans des cathédrales, des amphithéâtres, lors de fêtes ou dans des concerts publics, dans des musées ou aux stations de radio, dans des festivals ou des concerts commerciaux promotionnels. Avec des groupes de musiciens et leurs invités, nous avons trouvé la satisfaction au prix d’un énorme effort, mais on l’avait bien mérité!
Aujourd’hui, ma petite agence représente plusieurs groupes de musiciens, y compris le groupe actuel de Mircea, « Melão international », avec de la musique latine. J’ai pris des cours intensifs de salsa durant l’été 2013 pour profiter de leur musique, cette fois comme spectateur et pas seulement en tant qu’agent et caméraman.
Si la musique nous rapproche de la divinité? Notre vie, notre espace existentiel, donnent à chacun, si nous sommes capables de les discerner, et de les saisir, toute la palette des possibilités en termes d’expériences spirituelles ou tout ce qui peut exister en tant que choix individuel, comme option, comme mode d’action, croyance, sentiments. La vie nous offre du pragmatique diurne, avec tout son lot de problèmes quotidiens, matériels, fastidieux mais nécessaires pour compenser les manques, jusqu’au moment où nous nous dirigeons vers des zones d’expériences plus spirituelles, des domaines plutôt émotionnels. C’est à nous de réaliser que nous avons toutes ces possibilités, et de marcher dans une direction ou une autre. L’important est de ne pas nous laisser marquer, définir, limiter par ce qui nous arrive chaque jour, par les contraintes quotidiennes. La musique peut être un moyen de transport à travers l’espace spirituel, si elle est perçue et utilisée en tant que tel, et pas seulement « consommée ». Tout comme la méditation et la prière, comme l’art en général. Les sonorités cristallines d’une flûte et les cordes d’une guitare, les inflexions vocales d’une chorale liturgique dans une cathédrale, autant qu’un chant de Noël ancestral chanté « a capella » dans l’écho d’un autel, peuvent ouvrir des espaces spirituels insoupçonnés dans l’âme de n’importe qui. Nous avons eu la chance d’avoir pendant un certain temps, en tant que chef de chorale de l’église de Québec, une personne à part, un grand talent qui a produit, avec des amateurs comme moi et les autres membres, un concert de chorale religieuse qui a impressionné le public jusqu’aux larmes dans une cathédrale à Québec. Je réécoute occasionnellement ces concerts… Oui, je peux dire que la musique peut nous porter, elle peut nous découvrir, révéler, dévoiler des sentiments et des expériences dont nous ne nous serions jamais cru capables…
À l’heure où je traduis et publie les versions française et anglaise de ce texte, je dirais que la réponse à cette question pourrait être donnée par Alex, mon fils cadet. Musicien, instructeur et pratiquant de kundalini yoga, il a intégré le yoga et la musique dans un tout, où la divinité, la beauté, l’humanité et l’homme lui-même deviennent un tout, célébrant l’harmonie, l’unicité et l’éternité de la vie. Ma fille Ileana peut aussi répondre à cette question, car ses expériences spirituelles ont traversé, dans une période, des espaces ou les frontières entre l’imaginaire et le réel, le divin et le diabolique, le matériel et le spirituel, qui ont été dilués au point de permettre une coexistence impossible, dans un monde où la musique peut devenir bivalente dans l’antonymie (ou l’identité?) sacré-satanique. Alex dit : « Il n’existe pas la haine et l’amour, il n’y a que l’amour. »
La musique nous rapproche-t-elle de Dieu? Ou, je me demande si, étonnamment, à notre grande surprise, on ne le trouve pas juste à côté de nous, ou en nous-mêmes, dans notre âme, où il était, où il est en fait, tout le temps.
DD : Les voyages nourrissent notre âme et vous avez la chance de voyager. Quel est l’endroit le plus merveilleux que vous ayez vu et qu’est-ce que vous voulez voir encore?
DLT : Chaque endroit est spécifique. Tout dans ce monde mérite d’être vu et connu. Chaque lieu apporte un enrichissement spirituel et culturel par les gens qui y vivent et par leurs réalisations. Bucarest, Cluj, Constanţa, Timişoara, Iaşi, ou le tout petit village en Roumanie, je les considère tous avec le même intérêt que les grandes villes du monde : Paris, Londres, Francfort, Berlin, Budapest, Prague, Vienne, Lausanne, La Havane, Toronto, Boston, Montréal, Ouagadougou, Kigali Nairobi, ou tout village perdu « dans la brousse » dans l’espace africain, ou les villes chics de Bretagne, ou la chaîne de villages et châteaux au sommet des montagnes, en descendant sur la vallée du Rhin. J’aime voyager. En compagnie de gens formidables, surtout. Ce que vous ne pouvez pas partager avec quelqu’un est sans valeur.
Il me reste quelques photos dans ma mémoire, plus fortes que d’autres dans leur signification. J’ai une photo de Ouagadougou, de la fenêtre de l’hôtel, où vous pouvez voir à la fois, à l’intérieur, la cour luxueuse, moderne, propre, et au-delà du mur en ciment, une terre rouge couverte de saletés et débris éparpillés un peu partout, avec quelques sans-abri assis sous un arbre.
J’ai encore beaucoup d’endroits à visiter sur ma liste : l’Amérique du Sud, l’Asie, l’Océanie, la Russie. J’ai encore beaucoup à voir en Roumanie et en Europe.

DD : Quels rêves d’enfance avez-vous réalisés?
DLT : Oh, rêves d’enfant! Il y en avait tant que cela demandera plusieurs vies pour y penser, sans parler de les réussir tous! Mes réalisations? Nous avons mis au monde trois enfants, j’apporte encore ma contribution à la réussite dans la vie de plusieurs personnes, comme je disais, on peut me qualifier de « life facilitator » pour plusieurs personnes. J’ai voyagé, je suis devenu un professionnel de réputation internationale, les uns le disent, mais je n’ai pas encore volé avec le planeur construit à la maison, je ne suis pas aviateur, ni constructeur d’avions, Mircea est cependant un ingénieur aérospatial! Je ne suis pas capable de m’exprimer très librement à travers la musique (je connais un peu le piano et la guitare), mais les enfants — Mircea, Alex, Ileana, Ariane — le font pleinement. Je n’ai pas appris à dessiner ou peindre, mais Ileana le fait, je n’ai pas encore découvert l’antigravitation, et je n’ai pas encore écrit de livres…
Mais ma plus grande non-réalisation, qui est sans rapport avec les rêves d’enfance, est de ne pas avoir été plus proche de mes parents quand ils étaient en vie, de mes frères et de ma sœur, de mon pays… C’est une de mes grandes douleurs que j’emporte avec moi.
Je ne pense pas avoir accompli des choses exceptionnelles. Je suis étonné même maintenant que vous m’ayez sélectionné pour votre livre parmi des noms prestigieux, parmi des personnes de grand talent avec des contributions majeures dans les domaines littéraire, social, culturel, scientifique, artistique…
DD : Vous voulez paraître modeste, mais vous êtes un grand homme et nous vous remercions d’accepter de nous parler, avec une telle sincérité, chaleur et joie, de votre personnalité si fascinante. Je vous remercie à cette occasion de nous enrichir en prenant connaissance de vos sentiments et des profondeurs de vos pensées.
DLT : Je considère mes réalisations comme normales y compris les erreurs, qui sont aussi « normales ». Sans erreurs, j’aurais pu probablement faire plus, mais je n’aurais pas appris tellement de choses. J’ai simplement marché en suivant le chemin que la vie a déroulé devant moi, et fait en sorte, aux intersections ou bifurcations, d’éviter de prendre une mauvaise direction, dans un sens qui ne me convenait pas, ou qui pouvait affecter les autres de manière négative.
DD : Tout ce que vous avez fait jusqu’à présent est dû à un credo particulier?
Un credo… je ne sais pas quoi dire… C’est trop dire, credo. Un credo nécessite un peu de fanatisme, un peu d’aveuglement involontaire, un peu de limitation existentielle. Je crois que je suis plutôt un expérimentateur, quelqu’un qui aime jouer avec les frontières, avec des idées, avec les limites de lui-même. Les obstacles et les barrières représentent un défi pour des gens comme moi.
Mais ce que j’essaie de suivre dans la vie, ce que j’ai essayé tout le temps et qui pourrait être considéré comme une « croyance », un credo, c’est, dans un sens, ce que mon père, « homme de Transylvanie » par définition, m’a dit un jour : « Quoi que tu fasses dans la vie, fais-le bien! »…
Mais vous ne me parlez pas de mes futurs plans, comment ça?
DD : Je le fais avec amour. Avec beaucoup d’amour. Je vous demande donc d’en parler, s’il vous plaît. On vous écoute!
DTL : Ok, si vous me le demandez avec tant d’insistance, je réponds.
Premièrement, je voudrais avoir des petits-enfants. Ce n’est pas à moi de le faire, dites-vous? Ouais, bien… Je voudrais avoir des enfants autour de moi. Ils remplissent la maison, l’âme et la vie. Si mes enfants ne me les offrent pas, alors… je devrais me débrouiller tout seul?
J’ai encore plusieurs continents à voir. Beaucoup de gens à connaître. Il y a aussi quelques personnes autour de moi qui ont encore besoin de moi pour voler de leurs propres ailes. Après ça… qui sait?
Je planifie de revenir chez moi plus souvent. Le « chez-moi » de Subcetate.
Je pense commencer à écrire. Pas mes mémoires, car je dis et redis que je suis encore trop jeune. Prose et poésie de l’amour plutôt. L’amour a parfois des épines, là je cite Mitică Hurubă.
Je planifie de continuer les cours de danse latino.
Sur un plan un peu plus pratique, j’ai aménagé un grand jardin, récemment, pour planter des légumes, des fleurs, des cassissiers à partir desquels, aidé par Mircea, j’ai fait du vin d’après la recette de mon père, un peu modifiée. Ma recette tourne plutôt vers un vin de glace ou porto.
Professionnellement, je voudrais reprendre l’étude. Ici au Québec, on peut être étudiant à tout âge. Je pense à certains thèmes de recherche intéressants que j’aimerais reprendre : l’antigravité, la composition musicale algorithmique, et les ondes de choc dans le plasma.
Et je prévois continuer à me poser des questions sans réponse, le genre de nativités comme : qu’est-ce que je cherche dans ce monde, pourquoi la rose a des épines, pourquoi l’amour fait mal, si jamais quelqu’un, il y a des millénaires, a utilisé la Grande Ourse dans le ciel pour transporter le foin, pourquoi l’absence de quelqu’un peut sembler douce, comment est-il possible d’aimer la terre, pourquoi je ne peux jamais haïr personne, pourquoi la fourberie et la malhonnêteté me blessent si profondément, et quel a été le secret de ma mère pour arriver à être toujours en paix avec elle-même et avec l’univers tout entier, même lorsqu’elle devait souffrir.
DD : Que Dieu vous donne la santé et le temps de profiter de vos réalisations! Et gardez toujours votre esprit éclatant pour profiter du spectacle de l’existence, avec tant de domaines inconnus!
J’attends avec impatience la lecture de votre premier livre! Et puis on se revoit à Subcetate plus souvent!
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Publié par Doinita-Ana Dobreanu dans « La vie à Subcetate », Revue du Conseil de Ville et de la Mairie, éditée sous la supervision des enseignants du Lycée “Miron Cristea”. ISSN 2343 – 8215; L ISSN 2343 – 8215, janvier 2015
Dan Lazăr Trifan est mathématicien, consultant international sénior en systèmes d’information, Né à Subcetate, Roumanie; domicile actuel : Ville de Québec, Canada